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leur légèreté en formant la crème[1]. C’est une tentation bien grande pour le laitier ou le débitant que de prélever la crème, c’est-à-dire, le meilleur, de la vendre à part, et de fournir le lait écrémé comme lait pur, au prix de celui-ci. D’autres opèrent de même, mais, moins déloyaux, ils vendent la marchandise sous la qualification de « lait écrémé.  »

Quelques esprits paradoxaux n’ont pas manqué de dire qu’un corps gras est toujours plus ou moins indigeste, que le lait écrémé l’emporte en salubrité à certains égards sur le lait pur, qu’après tout il est permis de vendre une marchandise pour ce qu’elle est à vil prix, pour l’avantage des pauvres gens. Or, ces théories plus ou moins saugrenues, si elles choquent le bon sens, sont contraires à l’esprit de la loi de 1905 sur les fraudes, contraires aussi à la jurisprudence de la Cour de cassation. Un préfet même qui autoriserait sous son vrai nom la vente publique de « lait écrémé » verrait son arrêté cassé par le Conseil d’Etat.

En vérité, le fraudeur agit avec moins de franchise et plus d’habileté. Il ne cherche nullement à obtenir un lait de trop bonne qualité pour l’affaiblir ensuite ; la quantité lui suffit, si elle se concilie avec une richesse en corps gras juste passable et permettant de côtoyer la falsification sans la pratiquer trop brutalement ; si, d’autre part, il récolte malgré lui une certaine proportion de lait trop riche, il aura recours soit à un coupage avec un liquide pauvre dont il ne manquera jamais, soit à un écrémage partiel et modéré, soit enfin à un mouillage discret et il vendra sa marchandise comme lait pur.

Ecrémage et mouillage ! En somme, toutes les fraudes sur le lait se réduisent à ces deux procédés, combinés en général. Peut-on les découvrir scientifiquement ? Avant de discuter ce sujet qui n’est pas peu complexe, nous allons voir comment dans le nord de la France on procède pour fournir aux Parisiens leur ration de lait quotidienne et indispensable. M. Bonjean, chef de laboratoire du Conseil supérieur d’hygiène publique, nous servira de guide.

Il nous conduira d’abord le soir dans un vaste entrepôt en rase campagne où reposent des centaines et des centaines de bidons d’une vingtaine de litres chacun. On les rince avec de

  1. C’est pour cela que l’agent qui pi-élève un échantillon ne le puise dans le récipient de lait qu’après avoir retourné le vase pour homogénéiser l’ensemble.