Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/933

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloquence, irrémédiablement perdues. Du moins nous pouvons nous faire une idée de ce qu’aurait été ce livre que Brunetière portait en lui. On nous donne ce qu’on a pu en sauver : puisqu’on pouvait le sauver, on le devait.

Parcourons donc ce volume qui, apparemment, condense et résume la matière de plusieurs volumes ; indiquons, aussi rapidement que ce soit, ce qui en fait l’intérêt, comment Brunetière envisageait le XVIIe siècle, de quels traits il en composait la physionomie originale, quelle place il lui assignait dans le développement et dans la suite de notre histoire littéraire. Tel était en effet son souci dominant : faire sentir cette continuité et ces transformations ininterrompues qui sont le signe et la condition même de la vie, souligner ce mouvement progressif ou du moins alternatif et successif, sans lequel il n’y a pas d’histoire, mais seulement tableau et énumération. C’est à quoi lui servait cette idée d’évolution que, de l’histoire naturelle il avait transportée dans l’histoire littéraire, et pour laquelle on l’a tant et si injustement attaqué, comme si jamais il avait pris les genres pour des êtres et réalisé des entités ! Non certes, mais puisque la science a répudié l’idée de progrès telle que, de Voltaire à Condorcet, l’avait admise le XVIIIe siècle, et puisqu’elle y a substitué la notion plus nuancée et plus complexe d’évolution, Brunetière avait raison sans doute de ne pas l’ignorer, et de tirer parti de cette hypothèse, caduque comme les autres, mais plus récente que les autres, pour serrer de plus près ces problèmes littéraires que nul ne fut plus éloigné que lui de confondre avec les problèmes scientifiques.

Une comparaison, qu’il place au seuil même de son histoire, nous renseigne aussitôt sur le rôle qu’il attribuait à notre XVIIe siècle. « Représentons-nous, écrit-il, un large fleuve, au cours lent et presque insensible, un pont sur ce fleuve et sur les parapets de ce pont quelques admirables statues. Les statues, c’est Pascal, c’est Bossuet, c’est Molière, c’est La Fontaine, c’est Racine, c’est Boileau ; ce pont, c’est le siècle de Louis XIV, et sous ce pont ce fleuve qui va lentement, mais sûrement de sa source à son embouchure, c’est l’esprit du XVIe siècle, qui deviendra celui du XVIIIe, renforcé d’élémens nouveaux et plus riche dans sa composition d’un peu de tous les terrains qu’il aura successivement baignés. La comparaison est de Sainte-Beuve : seulement, ce qu’il s’est contenté d’indiquer dans cette comparaison fameuse, nous pouvons aujourd’hui, sans être pour cela bien braves, l’accepter plus hardiment que lui-même et en tirer une division pour l’étude du XVIIe siècle. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle,