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pleinement réalisé ce que le XVIIe siècle apportait de nouveau et d’inestimable. Les quarante premières années du siècle sont tout encombrées des défauts qu’il restait à éliminer avant d’élever sur un terrain, débarrassé des ruines et des matériaux suspects qui s’y entassaient, l’édifice de pur style français où notre génie serait enfin chez lui. C’est d’abord le fatras d’érudition où s’était complu le XVIe siècle, qui a gâté les plus grands écrivains d’alors et qui fait par exemple qu’avec les dons les plus magnifiques que peut-être un poète ait jamais possédés, Ronsard est devenu pour nous à peu près illisible. Mais Malherbe lui-même, quand il vint, traînait encore après lui ce bagage ; et la plus « populaire » de ses pièces, la Consolation à Du Périer, entre un début et une fin que leur plénitude et leur simplicité ont gravés dans toutes les mémoires, contient des strophes que les allusions les plus obscures à la plus pédantesque mythologie changent en un logogriphe. Tout de même les poètes ne doivent pas écrire pour les seuls érudits, et les vers ne sont pas faits pour s’accompagner d’un commentaire de Marc-Antoine Muret. Les écrivains du XVIIe siècle allaient s’en aviser, et plût au ciel que ceux du XIXe siècle ne l’eussent pas plus d’une fois oublié ! Puis c’est l’indécence et la grossièreté qui ont souillé toutes les œuvres d’un temps où on ne s’était pas encore avisé de s’en rapporter au goût des femmes. Enfin les littératures étrangères, qui étaient alors l’italienne et l’espagnole, et dont l’influence, à d’autres égards, nous a rendu d’incontestables services, nous avaient inoculé deux défauts : la préciosité et le burlesque. Brunetière ne les sépare pas, car, contrairement à l’opinion courante qui fait du burlesque la réponse à la préciosité, il n’y voit qu’un autre aspect de la même maladie littéraire qui consiste dans une déformation de la réalité. Et tandis qu’on regarde généralement les macaroniques et baroques inventions des Saint-Amant, des Sorel, des Cyrano, des d’Assouci et surtout de Scarron, comme un épanouissement de notre verve gauloise, Brunetière en rapporte l’honneur dérisoire à ceux qui nous en ont gratifiés. « En réalité, dans la formation de ce genre qualifié de national, deux courans étrangers apparaissent : l’un italien qui remonte jusqu’à Francesco Berni par l’intermédiaire de ses imitateurs, et l’autre espagnol qui procède, pour une part, de Gongora, et, pour une autre part, de la veine du roman picaresque. » Chez Voiture, en qui se personnifie la préciosité, il y a des coins de burlesque dont il est vrai de dire qu’ils firent les délices de l’Hôtel de Rambouillet. Et c’est bien cette confusion, ce désordre, ce mélange de l’excellent et du pire qui rendit chère aux romantiques l’époque Louis XIII.