Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bêtes, de ses chats et de ses pigeons, de deux lièvres qu’on lui a donnés, et dont l’apprivoisement est désormais l’un de ses grands soucis. Qu’on lise, par exemple, ce passage d’une lettre du 21 août 1780 :


L’événement que voici ne saurait être passé sous silence, dans un endroit où les événemens considérables sont toujours si rares ! Mercredi soir dernier, entre huit et neuf heures, tandis que nous étions en train de souper, j’ai entendu un bruit inaccoutumé dans la chambre du fond, comme si l’un de mes lièvres s’était embarrassé quelque part et s’efforçait de se dégager. Je m’apprêtais à me lever de table pour aller voir ce qui en était, lorsque le bruit a cessé. Environ cinq minutes plus tard, une voix de la rue, a demandé si l’un de mes lièvres ne s’était pas échappé. Je me suis aussitôt précipité dans la chambre du fond ; et j’ai constaté que ma pauvre favorite Puss, en effet, s’était enfuie. Elle avait rongé secrètement les mailles d’un filet au moyen duquel je me figurais avoir suffisamment garanti l’accès de la niche, et qui m’avait paru préférable à toute autre espèce de fermeture, en raison du libre passage qu’elle offrait à l’air du dehors. De là, j’ai couru à la cuisine, où j’ai trouvé notre voisin Thomas Freeman : il m’a dit que, ayant vu le lièvre juste au moment où il s’élançait dans la rue, il avait essayé de le recouvrir de son chapeau, mais que la petite créature avait poussé un cri, et puis avait sauté par-dessus sa tête. J’ai alors prié Thomas de la poursuivre aussi vite que possible, et je lui ai adjoint, pour cette chasse, Richard Coleman, comme étant plus agile, et portant moins de poids. Non pas que j’eusse l’espoir de retrouver ma chère Puss, mais je désirais apprendre, tout au moins, ce qui était arrivé d’elle. Au bout d’une petite heure, nous voyons reparaître Richard, tout essoufflé, avec la relation suivante : que, s’étant mis à courir, et n’ayant point tardé à laisser Tom en arrière, il avait aperçu une troupe d’hommes, de femmes, et de chiens, tous occupés à la même chasse ; qu’il avait fait de son mieux pour retenir les chiens, et avait même réussi à distancer tout le monde, de telle façon que la course n’avait plus enfin été disputée que par le lièvre et lui ; que Puss avait couru droit par toute la ville, et puis avait descendu le sentier qui conduit à Dropshort ; que là, un peu avant qu’elle approchât d’une maison, il l’avait dépassée, et l’avait obligée à s’en retourner vers la ville : et que, sitôt rentrée dans la grande rue, elle avait cherché abri dans la tannerie de M. Wagstaff. Les moissonneurs de Sturges étaient à leur souper, et ont vu la bête, de l’autre côté de la rue. Dans la tannerie, il y a une foule de trous remplis d’eau ; la pauvre Puss se débattait là, ne sortant de l’un des trous que pour plonger dans un autre, et déjà à demi noyée, lorsqu’un des hommes l’a tirée de l’eau par les oreilles, et a pu ainsi la reconquérir. On l’a alors proprement lavée, et on me l’a rapportée dans un sac, vers les dix heures. Cette escapade nous a coûté quatre shillings : mais vous pouvez bien croire que nous n’en avons pas regretté un liard. La pauvre Puss n’a eu qu’un peu de mal à l’une de ses pattes et à l’une de ses oreilles : dès maintenant, la voici presque dans son état ordinaire !