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singulièrement lorsqu’il s’agit de politique extérieure. Les orateurs unionistes ont sans doute profité des circonstances pour montrer combien les choses ont empiré depuis que le pouvoir leur a échappé, mais dans ce qu’ils ont dit des mesures à prendre, leur sincérité a été parfaite. Il est clair, en effet, que, si la sécurité de l’Angleterre tient à trois ou quatre vaisseaux, elle tient à peu de chose, et le hasard d’une bataille peut subitement l’en priver. Nous sommes surpris, en vérité, des raisonnemens qu’on fait de part et d’autre : il semblerait que l’arithmétique pure gouvernât le monde et que, si on a un bateau de plus que l’adversaire, on fût nécessairement le plus fort. C’est compter sans les accidens toujours possibles. Ces immenses machines sont aussi délicates que puissantes et, lorsque l’enjeu qui est en cause est l’existence même d’un pays, c’est le risquer beaucoup que de le confier à un si petit nombre de vaisseaux, fussent-ils des dreadnoughts. Or, il ne faut pas s’y tromper, c’est de l’existence même de l’Angleterre qu’il s’agit ici. Nous avons parlé d’enjeu : ceux de l’Angleterre et de l’Allemagne sont loin d’être ici de la même importance. Supposons que l’Allemagne soit battue sur mer ; évidemment, le coup lui sera funeste ; étant donné le développement prodigieux de son commerce et de sa puissance maritimes depuis quelques années, l’ébranlement, l’amoindrissement qu’elle en éprouvera seront très graves ; mais enfin, même après un Trafalgar, l’empire d’Allemagne, comme il est arrivé autrefois à un autre grand empire, resterait une puissance continentale de premier ordre ; il conserverait d’immenses moyens de défendre ses intérêts. On a peine à calculer, au contraire, quel serait pour l’Angleterre l’effet d’un désastre sur mer ; si sa flotte était anéantie, elle perdrait tout à la fois ; le vainqueur pourrait même l’affamer dans son île ; il serait le maître de lui imposer les conditions qu’il voudrait, et le vainqueur, qu’on entrevoit dans cette hypothèse, n’a pas habitué le monde à compter sur sa générosité. Aussi avons-nous toujours compris la règle que s’était autrefois imposée l’Angleterre, de pouvoir faire face à deux pavillons ennemis quels qu’ils fussent.

Il y a quelques années, au début du gouvernement radical, cette règle a paru, dans l’esprit du ministère, perdre quelque chose de son inflexibilité, et nous en avons été étonnés. Le ministère, ou du moins quelques-uns de ses ministres, croyaient alors qu’ils pourraient s’entendre avec l’Allemagne pour la limitation des armemens. Plusieurs d’entre eux sont allés à Berlin, dans cette bonne intention : on sait comment ils en sont revenus. M. Lloyd George a ouvert la marche, M. Haldane, lord Haldane aujourd’hui, l’a fermée. Le premier n’avait