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auquel, rapporte Morier, une « cocotte » française avait dit un jour avec enthousiasme : « On voit bien que tu es le Tsar, car tu as le physique du métier ! »

Un grave incident, survenu le 9 décembre 1870, inquiéta fort Morier. À cette date, le gouvernement du grand-duché de Luxembourg reçut une note menaçante de Bismarck. Le chancelier lui faisait savoir que le roi de Prusse ne se croyait plus tenu de respecter la neutralité du grand-duché, parce que la population avait maltraité des fonctionnaires allemands et parce que le gouvernement avait ravitaillé, par des convois venus de Luxembourg, la place de Thionville et permis à des officiers et à des soldats français, échappés de Metz, de passer librement sur le territoire pour aller reprendre du service en France. C’était tout simplement une menace contre tous les États secondaires, ce qui jeta la consternation dans le monde diplomatique, facile d’ailleurs a émouvoir. Un fait aggravait l’incident. A la suite du traité de Londres de 1867, le premier ministre d’Angleterre avait déclaré que la neutralité du Luxembourg était placée sous la sauvegarde des co-signataires du traité, mais que, si un seul des contractans refusait de combattre en faveur de cette neutralité, il déliait tous les autres. Bismarck avait retenu cette déclaration et en profitait pour accentuer son hostilité contre le Luxembourg. Le 15 décembre, Morier écrivit à Stockmar : « J’ai le cœur brisé. Je suis dans le désespoir quand je vois l’état de l’horizon politique. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour obtenir qu’en échange de nos bons services en faveur de la Russie à propos des affaires d’Orient, cette puissance conclût avec nous une entente cordiale et agît en quelque sorte comme un Polizei Ordnung (règlement de police). Et voici qu’au milieu des pourparlers, bang ! éclate la bombe luxembourgeoise ou l’exacte contre-partie du manifeste russe ! » Morier voulait dire ainsi que la note du chancelier allemand avait une analogie frappante avec la récente circulaire du cabinet de Saint-Pétersbourg relative au traité de 1856.

« Jamais, ajoute Morier, plus grand acte de stupidité n’a été commis, si l’objet en est l’acquisition du Luxembourg qui aurait pu être obtenu tout aussi aisément par des moyens honnêtes et respectables. J’ai quelques raisons de savoir que c’est la préparation et l’exécution d’un plan formé depuis longtemps, ayant pour but la restauration de Louis-Napoléon avec la partie fran-