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de fortifier Nancy. Il n’y a pas à cet égard de veto mystérieux à chercher ou à rappeler. Ce qui est vrai, c’est que Bismarck a donné pour prétexte de l’Alerte de 1875 la création par l’Assemblée nationale de nouveaux bataillons destinés à augmenter l’armée française. Ce fait est indéniable. Il a trouvé, même chez nous, des écrivains qui, ajoutant plus de foi aux paroles du chancelier qu’à celle de Le Flô et de Gontaut-Biron, ont supposé que l’Alerte n’était qu’une invention « de la France monarchiste de Mac Mahon qui voulait montrer qu’elle n’était pas à confondre avec la République de M. Thiers et pouvait trouver des alliés. » N’en déplaise aux sceptiques, l’Alerte, comme le prouve péremptoirement Morier, était une réalité.

Voici comment s’exprimait le journal allemand, la Post, le 8 avril 1875, sous ce titre : Der Krieg im Sicht ? — la guerre est-elle en vue ? — « Depuis quelques semaines l’horizon politique s’est couvert de nuages. Le gouvernement français a fait acheter de nombreux chevaux auxquels le gouvernement allemand fut forcé d’opposer un arrêt qui en interdisait l’exportation[1]. L’attention publique fut ensuite excitée par l’augmentation considérable des cadres de l’armée française, décidée par le vote de l’Assemblée nationale à Versailles, et qui fut volontairement dissimulée pendant qu’on discutait les questions relatives à la nouvelle Constitution… On ne peut douter que l’organisation nouvelle de l’armée ne soit plutôt un instrument destiné à une guerre prochaine qu’une réforme prévue, durable et justifiée… La préparation de cette guerre a été la raison de l’union des républicains et des orléanistes dans le dernier vote de la Constitution. Si donc nous devons répondre à cette question qui sert de titre à cet article : La guerre est-elle en vue ? nous pouvons dire : « Oui, certes la guerre est en vue, » ce qui n’empêche pas cependant que les nuages puissent se dissiper. » Cette menace non déguisée frappa Gontaut-Biron. Depuis deux ou trois ans, il savait que Bismarck disait ouvertement : « Si la France s’identifie avec Rome, elle devient par là même l’ennemie jurée de l’Allemagne. Une France qui se soumettrait à la direction de la théocratie pontificale serait incompatible avec la paix du monde. » Il savait que le chancelier l’accusait de pactiser

  1. Le 26 février 1875, le prince de Bismarck priait le prince de Hohenlohe d’examiner avec l’attaché de Bülow ce que l’on en pensait à Paris, « avant de faire les démarches nécessaires. »