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si grave et si périlleuse pour l’avenir de l’Europe et même de la civilisation humaine, que je confesse le déchirement de mon cœur quand j’y songe, et que je me rappelle, au moins vingt fois par jour, les paroles de Votre Altesse Impériale en 1868, me disant qu’une guerre entre la France et l’Allemagne reculerait la civilisation d’un siècle et que vous feriez tous vos efforts pour prévenir une telle calamité. Je n’ai jamais songé que, si cette catastrophe avait lieu, ce même danger serait renouvelé par l’Allemagne ayant appris et exagéré le tort du peuple qu’elle avait vaincu. Car il ne faut pas se dissimuler que la maladie dont souffre maintenant l’Europe est causée par le chauvinisme allemand, type nouveau et plus formidable de la maladie que le chauvinisme français, car, au lieu d’être spasmodique et indiscipliné, il est méthodique, calculé, de sang-froid et en pleine possession de soi-même… Si la doctrine qui déclare qu’un danger abstrait, hypothétique, complètement différent d’un danger immédiat et concret, est une raison suffisante pour qu’un voisin plus fort attaque le plus faible et y voie un casus belli, si une telle doctrine se traduisait par des actes officiels, comme une sommation de désarmement adressée à la France en ce moment, j’ose prophétiser à Votre Altesse Impériale que l’Allemagne ne se laverait jamais de la tache qu’un tel retour à un pur Faustrecht imprimerait sur elle.

« … Si un individu peut le faire sous une impulsion diabolique, une nation ne peut s’offrir le luxe du cynisme et ne peut risquer de se placer au ban de l’opinion publique, parce qu’une nation ne meurt pas… Ce ne fut pas Caïn mort, mais Caïn vivant qui fut maudit, comme meurtrier de son frère. Nous avons tous été élevés dans la haine du nom de Napoléon Ier ; mais j’ose dire que si l’Allemagne attaquait et écrasait la France maintenant, sous quelque prétexte que ce soit, son nom éveillerait plus de haine encore dans l’histoire future. Aucune des circonstances, qui peuvent excuser Napoléon, n’existe dans le cas présent… Plonger l’Europe dans une nouvelle guerre pour satisfaire la conscience scientifique de professeurs militaires serait une action marquée de férocité pédante, de cynisme scientifique, de cruauté académique, une action que l’histoire n’oublierait jamais et que l’humanité serait longue à pardonner… Sans doute, les armemens de la France sont exagérés, mais ce sont les armemens du désespoir, les armemens d’un peuple qui