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grands iris poussent un peu séparés les uns des autres, chacun sort royalement de la touffe de feuilles lamées, arrondies en arc, et monte seul au soleil. Les six pétales qu’un ciseau tranchant a découpés, s’évasent, s’irradient régulièrement et se recourbent, striés de jaune et de violet, fermes et lumineux. C’est la précision et l’éclat des émaux. Vraiment, quand les iris des plaines sont dans leur splendeur debout dans la campagne on croit voir un luminaire immense porté sur ces tiges, hautes et droites comme des chandeliers. La voilà, la moisson de Lialah ! C’est pour ce jour de printemps précoce qu’elle a subi les ardeurs de l’été, et langui pendant la saison des pluies monotones. Depuis bien des jours, elle guette au ciel inquiet le matin qui sera celui de la première éclosion des fleurs sauvages. Ces champs vides sont à elle, les grandes fleurs rigides dans lesquelles la lumière met d’abord sa gloire lui appartiennent, et sous le ciel limpide qui révèle à nouveau sa beauté elle marche, elle cueille, elle moissonne aussi fière qu’une Sémiramis en ses jardins. Aujourd’hui les iris, demain les grandes asphodèles légères, rayées de noir comme des ailes d’abeille, puis la gentiane bleue, et la petite fleur pourpre qui fait sur le sol une trainée rouge comme la trace d’une blessure et qu’on appelle la « goutte de sang, » les cystes impalpables qui meurent sous les doigts en y laissant une poussière de soie blanche comme font les ailes des papillons. Lialah est heureuse ; j’entends de loin son chant du matin, sa mélopée hésitante comme l’appel plaintif d’un oiseau et puis le trille aigu qui bat dans sa gorge et par où sa voix s’élance. Penchée, elle coupe sa moisson tige à tige ; elle en fait une gerbe que ses deux bras peuvent à peine étreindre et puis, un peu plus tard, enroulée dans le grand haïk blanc dont elle mord un pan entre ses dents blanches pour cacher une moitié de son visage, la voilà, son fardeau lié, ajusté sur sa tête, en marche, les pieds nus dans la poussière, sur la route de Tanger.

La route ! ce sont les champs ravinés de sillons noirs où pointe le blé nouveau, les grands espaces informes, les allongemens de terre inculte revêtue des brousses courtes ou des tapis de fleurs qui s’épanouissent au ras du sol et brillent avec des reflets métalliques. Les bœufs dans ce demi-désert trouvent encore à paître. On les voit qui cheminent lentement et ruminent, chacun d’eux religieusement suivi du grand oiseau