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Gabriel Baroney ne tombait pas d’aussi haut qu’il voulait bien le dire. Et il n’était pas fâché de voir Étienne prendre un peu la mouche.

— Mon père, je vous serais bien obligé de nous priver pendant quelque temps de la présence de ce godelureau, ou bien je le calotterai devant tout le monde.

— Ce ne serait pas une solution. Aux inconséquences de cet enfant mal élevé n’ajoute pas des brutalités. Mais, tu as raison, nous allons espacer un peu nos réunions. D’autant plus que les petits commencent à trop l’admirer, à trop parler de lui. J’ai déjà eu un entretien avec Maxime…

— Il a dû vous mettre dans sa poche, selon son expression.

— Il a été suffisamment impertinent.

— Est-ce qu’ils ne vont pas bientôt s’en aller ? murmura Étienne.

— Allons, allons ! mon petit, pas de découragement. De l’énergie, que diable ! Montre-toi capable de lutter ! Tiens, la tante Anna est chez nous.

Ils gravissaient l’allée qui mène du domaine à la maison et ils venaient d’apercevoir au pied de la terrasse la grosse jument grise et la victoria du Château-Neuf. La grise fumait des pieds à la tête. On avait dû lui faire gravir la côte au trot, ce qui n’était guère dans les habitudes de la tante Anna.

« Qu’est-ce qu’il y a encore de ce côté ? se demanda Gabriel Baroney qui, tout confiant qu’il fût dans la vie, savait cependant que les ennuis viennent d’ordinaire par troupe. Est-ce que cette bonne maman Malvina serait souffrante ? »

Étienne et son père allaient pénétrer dans la grande salle : les éclats de la voix perçante de la tante Anna les arrêtèrent sur le seuil. Pour la dixième fois, sans doute, la grosse dame racontait son histoire.

— Qui est-ce qui aurait cru cela d’Artémise ? Une petite si rangée, si timide. « Ah bien ! par exemple, que je lui ai dit, tu m’étonnes… » Alors, elle s’est mise à pleurer : « M. Maxime m’a dit que personne ne le saurait. Et puis il est si gentil, si drôle ! » Ah ! bien par exemple, oui, il est drôle. Mais pas toujours, pas toujours ! C’est même vilain, bien vilain ! Oh ! oui, bien vilain. Mais je ne veux pas croire qu’il ait osé embrasser Marthe…

À ce nom, Étienne bondit dans la pièce. Tante Anna poussa un cri, puis se mit à rire :