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Un élément nouveau intervint tout d’abord, grâce à un incident si connu, du reste, qu’il suffira de le rappeler en précisant simplement sa date. Presque au lendemain du jour où le ministère de la Marine avait expédié à Bourbon l’ordre d’occupation immédiate de Mayotte, des dépêches importantes lui parvenaient du Pacifique. Après avoir arboré notre drapeau sur les Marquises, l’amiral Dupetit-Thouars s’était rendu à Tahiti dont la reine s’était engagée, on s’en souvient, à respecter les Français et notamment les missionnaires ; or les vexations continuaient ; l’amiral avait adressé des réclamations vigoureuses et la reine, affolée, offrant alors de placer ses États sous le protectorat de la France, il avait accepté. Cette acquisition nouvelle et complètement imprévue n’était pas pour plaire à tous les membres du gouvernement. Après quelques hésitations, semble-t-il, on décida pourtant de ratifier le traité de protectorat. Désavouer brutalement un officier général était une mesure grave ; au moment où nous prenions pied dans ces lointains parages, nous ne pouvions non plus y faire montre d’hésitation ; Tahiti enfin offrait des avantages nautiques, car nos navires y trouveraient un meilleur abri que dans les rades foraines des Marquises. Son occupation se rattachait ainsi aux préoccupations qui avaient dicté celle de Mayotte et, en s’y installant, on restait fidèle aux idées adoptées par le Conseil des ministres.

Le ministère de la Marine s’était naturellement employé en faveur de l’acceptation du protectorat qui cadrait avec ses vues et satisfaisait notamment la Direction des Colonies. Mais cette Direction, chargée d’envoyer les ordres pour Mayotte, avait témoigné, en les rédigeant, d’une énergie particulière : elle avait prescrit le débarquement, même dans le cas où les Anglais se seraient déjà installés. En outre, et c’était là le fait grave, le gouverneur de Bourbon avait reçu, avec le texte de la note dont le Conseil des ministres avait repoussé les conclusions, l’assurance formelle que l’ajournement des projets sur Madagascar n’équivalait pas à leur abandon. Toujours en quête de nouveaux territoires, la Direction des Colonies applaudissait à l’acquisition systématique de points de relâche. Elle souscrivait avec enthousiasme à une partie de la résolution arrêtée en Conseil, mais à une partie seulement, car, en dépit des délibérations de Cabinet et des opinions de Guizot, elle entendait ne pas renoncer à ses