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pour Étienne, mais Gabriel Baroney avait passé outre et grimpé l’escalier sans façon. Il connaissait le chemin. Il savait que le salon et la chambre de Marthe étaient au premier, séparés par une porte à travers laquelle il allait pouvoir obtenir des nouvelles toutes fraîches.

Du revers de sa main, il frappa deux fois, légèrement, la boiserie. Marthe, sans plus réfléchir, s’élança et ouvrit. A la vue de Gabriel Baroney, son visage, un instant détendu, se ferma.

— Bonjour, Marthe, dit le visiteur inattendu ; où voulez-vous que nous causions ? Chez vous, ou dans le salon ?

Il y avait une telle assurance dans son accent que la jeune fille comprit qu’il savait quelque chose. Elle n’osait le regarder en face et ne pensa pas un instant à parler de « sa migraine. » Elle répondit dans un souffle :

— Où vous voudrez, père…

Cependant Gabriel Baroney entendit, et cette confusion augmenta son courage… Ils s’installèrent tout près l’un de l’autre, dans le salon, dont les volets étaient à demi tirés, mais cette pénombre ne déplaisait ni à l’un ni à l’autre.

— Voyons, ma petite Marthe, parlez-moi franchement… Qu’est-ce qui se passe ?

— Mais rien.

— Si, mon enfant. Vous ne vous en rendez peut-être pas bien compte, mais il y a quelque chose. Interrogez-vous loyalement. Pourquoi n’avez-vous pas voulu recevoir Étienne ? Il rentrait chez nous la figure décomposée quand je l’ai rencontré. Je sais qu’il y a eu, hier soir, entre vous, une petite querelle. Mais cela justifie-t-il l’affront que vous venez de lui faire ? Profitant de l’occasion qu’il vous offrait, vous auriez dû lui tendre la main, et, au contraire, vous avez défendu votre porte… Vous avez donc une autre raison de vous tenir enfermée. Dites-la-moi. J’ai habitué mes enfans à tout me raconter de ce qui se passe en eux. Je crois qu’ils s’en trouvent bien. Quand je suis entré, vous m’avez appelé « père. » Prouvez-moi que vous êtes encore ma fille… ma petite Marthe. Un peu de courage. Vous verrez comme cela vous fera du bien.

Marthe Bourin écoutait de tout son être les paroles à la fois fermes et conciliantes de Gabriel Baroney. Son mutisme se détendait peu à peu ; sa mauvaise humeur se dissolvait ; cepen-