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s’échapper ou nous fussent rendus. Le général Lyautey a réuni des forces pour les dégager, si c’est nécessaire, si c’est possible. Qui ne l’en approuverait ? Mais, une fois de plus, notre plan se trouve changé, et les événemens sont plus forts que notre volonté, plus forts surtout que notre prévoyance. Au surplus, El-Hiba n’est nullement disposé à faire halte à Marakech, à s’y cantonner et, après avoir pris sa part du gâteau, à attendre les événemens : il les provoque au contraire, il nous attaque, il cherche à soulever contre nous les tribus voisines de la Chaouïa auxquelles le doigt de Dieu n’a pas encore montré distinctement de quel côté est la force, et qui hésitent. Nous avons confiance dans nos troupes ; elles feront leur devoir et leur effort sera heureux ; mais pour que le résultat en soit durable, cet effort devra se renouveler plus d’une fois et, si on ne les renouvelle pas elles-mêmes par de nouveaux renforts, on leur demandera plus qu’il n’est permis d’attendre de la fatigue humaine. Entre les intérêts de notre mobilisation qu’il ne doit pas compromettre et les obligations de notre politique marocaine qu’il doit remplir, le gouvernement est dans un dilemme redoutable : il faut cependant qu’il en sorte à son honneur, et au nôtre, et le temps commence à presser.

Pendant qu’il s’écoule, la population joyeuse et désœuvrée de Vichy fait fête à Moulaï Hafid dont la démission inopportune a encore augmenté nos embarras marocains. Elle s’amuse de lui, mais il semble bien que lui-même s’amuse aussi de nous, et, vraiment, nous lui donnons beau jeu. Il va venir à Versailles, à Paris où peut-être il s’amusera seulement pour lui-même et où on le remarquera moins. Mais les reporters lui laisseront-ils un moment de repos ? Il ne manque ni de bon sens, ni d’à-propos, ni même quelquefois d’esprit dans les conversations auxquelles il se prête. Il a tout l’air satisfait de s’être tiré à son avantage, et avec de grosses rentes que nous lui faisons, d’une situation pleine pour lui d’angoisses et de dangers. Heureux homme en effet ! Qui ne l’envierait ? Il a quitté le Maroc et nous y restons : nous sommes obligés d’y rester.


Francis Charmes.


Le Directeur-Gérant,

Francis Charmes.