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dans une maison de cette même avenue de la gare et à peu de distance de leur nid futur.

De la fenêtre près de laquelle se tenait Marthe, on voyait la façade de la nouvelle villa. Jérôme Baroney avait mené rondement cette construction, et l’on avait pu poser le toit avant le cœur de l’hiver. Aussi, malgré un horrible mois de février, continuait-on de travailler et cela avait été une des distractions de Maxime. Il avait imposé à son père toute sorte d’excentricités empruntées au « modern style » des expositions d’avant-garde. M. Bourin avait voulu donner quelques prudens conseils. Il avait été fort mal reçu. Maxime, depuis son mariage, comme si cet événement l’avait fait monter en grade et lui avait procuré toutes les qualités qui lui faisaient auparavant défaut, traitait son beau-père d’égal à égal et n’admettait aucune immixtion dans ses affaires personnelles. M. Bourin comptait bien prendre sa revanche lorsque son gendre, une fois notaire, viendrait lui demander des instructions. Maître Genou, chez qui Maxime faisait un stage, avait cru devoir aviser son collègue Bourin de l’insuffisance professionnelle de Maxime, mais maître Bourin l’avait pris de haut :

— N’ayez crainte. Je serai toujours là !

Et il y avait dans le propos une telle assurance, une telle autorité qu’on le répéta et qu’il contribua à affermir la situation du futur notaire. On avait dans le pays une telle confiance en Me Bourin que, sur cette unique déclaration du beau-père, on eût été prêt à confier ses intérêts au gendre. Mais avant d’entraîner les autres, le notaire de Saint-Chartier se persuadait lui-même. Il faisait de sa propre rectitude comme l’apanage de toute sa famille. Son gendre serait un bon notaire : ainsi en avait-il décidé.

« Vous connaissez Sarront de Châteauroux, aurait-il pu dire à Me Genou s’il avait eu l’habitude de développer ses opinions. Il n’y a pas dans le département d’officier ministériel plus strict, plus soucieux d’accomplir ses devoirs jusqu’au bout, dût-il en pâtir. Eh bien ! Sarront, l’intègre, l’austère Sarront a débuté par les pires sottises. A dix-huit ans, il a fait du violon. Il s’amusait à arracher les cordons de sonnettes. Une nuit il a été remplacer le drapeau de la préfecture par le grand polichinelle du bazar et porter la pancarte d’une sage-femme au-dessus d’un pensionnat de demoiselles. Et tout cela se passait dans la ville