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« J’ai répondu de vous au Roi ; je suis bien assuré que vous ne me démentirez pas et que, pour le bien de l’État, la gloire de la nation et votre propre conservation, vous vous porterez jusqu’aux dernières extrémités plutôt que de jamais capituler, » cette promesse sublime, parce qu’elle va se réaliser : « J’ose vous répondre d’un entier dévouement à sauver cette colonie ou à périr. Je vous prie d’en être le garant auprès de Sa Majesté. »

Le post-scriptum est dans la lettre, toute d’émotion contenue, que Montcalm écrit à sa femme, le 21 mai : « Bourlamaque est déjà en campagne ; et je crois que je ne tarderai pas à m’y mettre. Je crois que j’aurais renoncé à tous les honneurs pour vous rejoindre, (on lui faisait espérer le bâton de maréchal de France) ; mais il faut obéir au Roi ; le moment où je vous reverrai sera le plus beau de ma vie. Adieu, mon cœur ; je crois que je vous aime encore plus que je n’ai jamais fait. »

Montcalm périt, comme il l’avait dit, en même temps que la colonie ; frappé à mort dans la bataille des plaines d’Abraham, il fut, d’après une tradition accréditée, enterré dans un trou fait par une bombe au pied du mur du couvent des Ursulines. De telles morts sont des exemples qui ne meurent pas. C’est Montcalm qui grava, dans la mémoire de l’Amérique, le caractère « chevaleresque » comme un des traits de la race française. La « chevaleresque France, » cette formule est un truisme, là-bas. Les truismes ne font que consacrer l’autorité du fait établi. Imposer un truisme à la mémoire des hommes, c’est la gloire.

La gloire désintéressée : tel est le bénéfice réel obtenu par la France en Amérique à la suite de l’expédition de La Fayette et de ses compagnons d’armes. On a dit et répété que la France, en intervenant par les armes dans la guerre de l’Indépendance, profitait d’une circonstance favorable pour se venger de l’Angleterre, pour relever son propre prestige, pour rétablir l’équilibre en Europe et sur l’Océan. Cela est vrai, surtout à partir de 1780, lorsque Vergennes conseilla au Roi d’envoyer en Amérique l’armée de secours, commandée par Rochambeau.

Mais le départ des volontaires, des La Fayette, des Noailles, des Ségur, en 1776, a un tout autre caractère. Ceux-là sont bien les « paladins » de la liberté. L’affection qui unit Washington et La Fayette, le chef grave et l’élégant gentilhomme, l’attachement que La Fayette, l’ami du soldat, « soldier’s friend, » sut inspirer aux miliciens américains, voilà ce qui constitue la vérité his-