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célèbres des anciens. Dans cette vision, souvent rapide et superficielle, comment donc s’étonner que le sens profond de l’antiquité lui échappe ? Il respire le parfum, sans goûter le miel.

Aussi bien, ce sont les idées maîtresses de la culture classique, sa religion du beau, sa foi dans la justice, son respect de la raison, en un mot, ce par quoi elle est une des plus nobles formes de la culture humaine, que sa nature repousse et que sa croyance réprouve. De tout cet idéal, l’art seul le touche. Il adore la musique ; n’est-elle point, comme la poésie, cette musique du verbe, l’expression la plus immatérielle de notre être et l’écho de notre vie intérieure ? On ne peut dire que l’ami de Cranach et de Dürer ait été insensible à la beauté de la forme ; et si le luthéranisme n’a pas eu les fureurs iconoclastes de la Réformation française, c’est un peu à son fondateur qu’il le doit. Cependant il écrira en 1523 : « Je pense qu’on doit détruire les monastères et les cathédrales, » ajoutant comme pris d’un remords, « ou au moins les abandonner. » Il aime la nature, et, dans une lettre célèbre, parlera en poète du chant des oiseaux. Mais contrariés, détournés par les préoccupations doctrinales, ces souffles bienfaisans du dehors passent vite. L’hôte de la Wartburg écrira à Mélanchthon : « Qui sait ce que, dans les conseils du silence, Dieu va faire sur ces hauteurs ? » Regard rapide et distrait !… De l’admirable paysage, aucune voix ne s’élève pour lui prêcher l’apaisement et l’oubli, et, « dans ces conseils du silence, » ce qu’il écoute, ce sont ses griefs, ses haines, le tumulte des doctrines, l’agitation de la place publique dont ses correspondans lui renvoient l’écho. — Assurément, il ne regarde que vers les choses de l’âme, et, à ces profondeurs, entre l’idéal chrétien et l’idéal antique, quels rapprochemens peut-on rêver ?

Toute la sagesse, toute la morale de l’antiquité sont fondées sur la croyance à la valeur de l’homme. « Nous demandons avec Juvénal, un corps sain et une âme saine… C’est quand nous sommes sains que le mal de la chair est inguérissable. » Partant, des grandes disciplines classiques, il n’en est point à qui le jeune théologien fasse grâce. Le Droit ? Cette science du juste ne lui parait qu’une procédure de l’utile, un ensemble de règles destinées à justifier la ruse ou la force, de traditions « tout au plus bonnes aux puissans et aux riches. » « Le mot de justice, écrira-t-il en 1516, je l’entends avec de telles nausées que je serais