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de la vie divine, faite, non de raisonnemens secs, mais d’intuition, d’émotion, tout imprégnée de sensibilité humaine, alors même qu’elle condamne notre raison et nos vertus, et dont la hardiesse, parfois subtile, se pare toujours d’un verbe chaud, ensoleillé, étincelant, tout en relief et en couleur. On devine sans peine l’influence qu’elle va prendre sur une âme ardente et jeune, moins avide de syllogismes que de vie. Luther proclamera Augustin, le premier des Pères. Il l’oppose à saint Jérôme. Il le défend passionnément contre le vieux Wympheling qui a osé douter de l’authenticité de sa Règle. N’est-il point la « vérité catholique ? » Et ne lui doit-il point cette théologie qu’il cherche : la connaissance du Christ et de la grâce, « l’intelligence la plus intime de l’Esprit ? »

Cette emprise profonde va s’accuser, de 1511 à 1517, dans les sermons comme dans les écrits. Elle détache Luther de la scolastique. Désormais à l’analyse des données de la révélation, à la logique de la foi, le théologien va substituer ces grandes antithèses où la pensée augustinienne aime à s’enfermer. « Esprit » et « Lettre, » grâce et liberté. Évangile et Loi ! Oppositions redoutables de mots ou d’idées et qui ne répondaient que trop bien à son tempérament intellectuel ! L’intuition prendra à ses yeux le rôle de la dialectique, et, allégée des raisonnemens, la foi sera ramenée à une illumination intérieure et à un témoignage de la conscience. C’est encore à saint Augustin que Luther va demander son interprétation de l’Écriture : celle des « Psaumes, » en 1511, celle de la pensée paulinienne, dans le commentaire sur l’Épitre aux Romains. Et enfin, c’est à saint Augustin qu’il prendra quelques-unes des doctrines et des formules dont il aimera à revêtir sa propre pensée : la régénération par la foi, l’infirmité de la nature, l’action toute-puissante de la grâce, la pénitence. On sait le retentissement qu’eut en 1516, la publication du de Spiritu et Litera, faite par Carlstadt, et son influence sur les thèses célèbres de la nouvelle école. L’augustinisme est devenu l’enseignement officiel de Wittemberg. En son nom, Luther et Carlstadt prétendront restaurer la théologie de la grâce contre les « nouveaux Pélagiens » et la théologie de la liberté.

Cet idéalisme devait trouver dans la mystique ses applications morales, et on ne peut s’étonner que Luther se soit tourné vers ces maîtres de la vie intérieure que l’augustinisme,