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notre faute. Mais sois pour nous un Père clément et ne compte pas avec nous. Ne nous laisse rien penser, dire, posséder, craindre qui ne soit à ta louange et à ton honneur… Fais que ton règne arrive et que le péché soit détruit. Fais tout ce que tu veux, mais que nous soyons à toi, non à nous-mêmes… Père aimé, conduis-nous dans tes voies… Oh ! donne a la chrétienté des prêtres, des apôtres qui nous enseignent moins des fables spécieuses que ton Saint Évangile. Père ! nous sommes faibles et malades. Soutiens-nous. Jusqu’à la fin, fais-nous persévérer, fais-nous combattre en braves, puisque nous ne pouvons rien sans ta grâce et ton secours. » — Imaginez dans toute l’Allemagne, dans toute l’Europe, des milliers de lèvres qui répètent ce dialogue enflammé, des milliers de cœurs qui s’en imprègnent, criant leur misère et appelant une espérance ! A la place d’une théologie épuisée, exsangue, raisonneuse, parfois déraisonnable, perdue dans les subtilités de la logique ou les nuées des systèmes, en regard de prédications grossières ou frivoles qui trop souvent amusent sans instruire ou scandalisent pour édifier, voilà une parole simple, pratique, humaine dans son outrage même à l’homme, si pénétrée de la Bible qu’elle en redit presque l’accent, si proche parfois du Christ, qu’elle semble un écho de l’Évangile. Comment l’Europe religieuse serait-elle insensible ? Esprits fatigués de grimoires, âmes simples et pieuses qu’inquiète le sensualisme grandissant, mystiques détournés d’un monde où la foi dans la nature risque de détruire la foi en Dieu, tous ces affamés de rénovation, de liberté et d’idéal, viennent se joindre à ceux que des mobiles moins purs entraînent à la suite. La voie est ouverte où Luther a passé. Et si tant d’âmes le suivent, c’est qu’elles se trompent elles-mêmes par ce qu’il garde de chrétien dans son accent, de vrai dans ses erreurs, de clérical dans sa réforme, et, comme sur les murs du temple où il repose demeure l’image de la Vierge, par tout ce qui survit de la vieille et maternelle église dans son cœur désaffecté.


Imbart de la Tour.