Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses desserts. Maxime attendit le second coup pour se diriger vers la salle à manger. « Pourvu, se disait-il, que la tante Anna ne me fasse pas une scène ridicule ! Je lui éclaterais au nez et Rolande serait furibonde. »

Ce fut d’abord du désarroi. La vieille tante Malvina était installée à sa place d’honneur et attaquait déjà son potage. En face d’elle, la chaise de Jérôme restait vide. Comme d’habitude, l’architecte était en retard. Maxime s’assit à la droite de l’aïeule silencieuse, puis la tante Anna à la droite du couvert de Jérôme. Mme Jérôme Baroney avait sa migraine, et la scène de la Louise avait achevé de la décider à monter se coucher. Rolande arriva seule, un peu trop poudrée, et tout de suite elle parla pour rompre le mauvais charme qui semblait figer les hôtes du Château-Neuf. Mais personne ne lui répondit. Ernestine servait ; toute rouge d’avoir été ainsi mise sur la sellette et jetant à la dérobée des regards d’envie et d’admiration étonnée vers Maxime qui, contre sa coutume, n’ouvrait la bouche que pour manger et boire.

Au beau milieu du service, Jérôme arriva sur la pointe de ses gros souliers et souriant derrière ses lunettes. Il était heureux. Tout allait bien sur le chantier.

— Bonsoir, tante Malvina, bonsoir Anna. Ah ! Fanny a sa migraine. Ça va, petite ? Bonsoir, toi…

Jérôme n’oubliait personne. Puis il se jeta sur la soupe qu’il avala brûlante. Il renaissait, littéralement, de jour en jour ; même sa vue semblait s’améliorer. Il avait plaisir à manger, plaisir à boire, plaisir aussi à voir davantage sa famille.

— Ah ! bonnes gens, reprit-il à la dernière cuillerée, qu’on est au calme ici et qu’il fait bon ce soir dans la vallée ! Le baron est toujours aimable. Il m’a adopté. Il assure qu’il ne pourra plus se séparer de moi, qu’il vit les plus heureux jours de son existence.

Mais on n’entendait guère le pauvre homme. On avait tellement l’habitude de ne point écouter ses ordinaires propos de bâtisse !… Maxime ruminait une sorte d’amende honorable pour la tante Anna, qui était plus cramoisie que nature et visiblement agitée. Lorsque son père eut terminé son « boniment » (ainsi que Maxime appelait ce plaidoyer pro domo), il se tourna vers elle :

— C’est égal, ma tante, je crois que nous devenons un peu