Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À vrai dire, l’idée newtonienne de la continuité des phénomènes physiques est, aujourd’hui, sur quelques points au moins, quelque peu battue en brèche par la nouvelle et étrange hypothèse des quanta que de récentes découvertes physiques ont conduit à édifier, et qui tendrait à supposer une certaine discontinuité dans les phénomènes atomiques qui donnait naissance aux radiations[1]. Sans vouloir entrer dans aucun détail à ce sujet, je me permettrai seulement une comparaison un peu hardie, mais qui n’est peut-être point dénuée de sens : l’hypothèse des quanta vient se dresser à côté de la théorie du continu physique, de même que, dans l’ordre des sciences naturelles, les théories lamarkiennes et darwiniennes de l’évolution lente et insensible, ont vu naître récemment en face d’elles la mutation brusque et discontinue du naturaliste hollandais de Vriès. Celui-ci, par les faits nouveaux qu’il a apportés, n’a pas ébranlé l’ancien transformisme ; il l’a seulement élargi, et s’il lui a tracé des limites, il l’a en somme laissé intact dans ses grandes lignes. Pareillement, il est probable que l’hypothèse des quanta n’empêchera pas que la plupart des phénomènes physiques, sinon tous, ne doivent être comme par le passé exprimés par des équations différentielles. Les progrès que celles-ci ont réalisés, les découvertes physiques qu’elles ont permis de faire, notamment en optique, en électricité, en astronomie, en sont garans. Et dans ce sens, les fonctions nouvelles découvertes par Poincaré resteront toujours une des contributions les plus brillantes qui aient été apportées par la théorie pure à l’étude du monde extérieur.

Que si l’on recherche les caractères de la méthode de Henri Poincaré et de son génie mathématique, on aperçoit qu’ils se distinguent par une étonnante faculté de généralisation ; au lieu de partir, comme font la plupart, de l’étude détaillée du particulier, il s’élance d’un bond au cœur même des questions, néglige en route les points de détail, et, pareil à un conquistador audacieux, se porte d’emblée et sans travaux d’approche vers la difficulté maîtresse, vers la forteresse dominante et qui semblait la plus imprenable, invente sur-le-champ les instrumens

  1. Poincaré résumait lui-même excellemment dans les termes suivans, peu avant sa mort, la conclusion à laquelle conduisait l’hypothèse des quanta : « Un système physique n’est susceptible que d’un nombre fini d’états distincts ; il saute d’un de ces états à l’autre sans passer par une série continue d’états intermédiaires. »