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si Poincaré avait écrit : « Ces deux propositions : « Le monde extérieur existe, » et : « Il est plus commode de supposer qu’il existe, » ont un seul et même sens, » qui aurait osé conclure que Poincaré affirmait la non-existence du monde extérieur ? Et voici qui suffirait à régler la question, puisque la rotation de la terre conserve le même degré de certitude que l’existence même du monde extérieur, que l’existence même de la terre.

Mais on peut aller plus loin : nous avons vu que pour le poincarisme, une théorie physique est d’autant plus vraie qu’elle met en évidence plus de rapports vrais ; d’autre part, le sens commun reconnaît qu’entre deux explications quelconques d’un fait, la plus vraie est celle qui accumule le moins d’hypothèses, et surtout le moins d’hypothèses absurdes. Or l’hypothèse de la rotation de la terre indique entre le mouvement diurne des corps célestes, l’aplatissement des pôles, la rotation du pendule de Foucault, la giration des cyclones, les vents alizés, beaucoup d’autres phénomènes encore, des rapports vrais ; elle seule permet à la Mécanique céleste d’exister et de prévoir à l’avance de nouveaux phénomènes que l’expérience reconnaît vrais.

L’immobilité de la terre est possible absolument parlant ; mais alors il n’existe plus aucun rapport entre tous ces phénomènes et on est obligé d’accumuler les hypothèses les plus invraisemblables pour les expliquer. La cause est entendue. « La vérité pour laquelle Galilée a souffert reste donc la vérité, encore qu’elle n’ait pas tout à fait le même sens que pour le vulgaire, et que son vrai sens soit bien subtil, plus riche et plus profond. »

Et c’est ainsi que, à un reporter qui venait, anxieux, lui demander des nouvelles du système de Copernic, Poincaré put répondre avec humour : « Vous pouvez vous risquer à le répéter sans danger : La Terre tourne ! Galilée eut raison ! E pur si muove. » Ceux qui ont cru servir la cause religieuse et diminuer du même coup la science en soulevant cette polémique se sont donc trompés.

D’ailleurs, au fond, la science ne peut rien prouver ni pour ni contre les croyances religieuses puisque celles-ci sont, par essence et par définition, hors de la discussion ; elle n’a jamais pu tuer la foi que des hommes chez qui celle-ci n’était déjà plus qu’une feuille morte, prête à tomber au premier souffle.