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LE


VICOMTE DE LAUNAY



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Car ce n’est pas de Mme de Girardin que je veux parler ; c’est uniquement du vicomte de Launay. Mme de Girardin n’est pas méprisable ; mais comme tant d’autres, elle s’est trompée sur son génie. Née à l’aurore d’un demi-siècle où l’on ne fit vraiment cas que des poètes, elle se crut poète et, comme elle ne manquait ni d’imagination, ni de style, ni de bonnes études, elle fit des vers à mi-côte du classique et du romantisme, dans le genre de Casimir Delavigne et de Soumet, des vers qui n’étaient pas plus mauvais que d’autres, mais qui ne valent pas qu’on s’affaire pour les lire aujourd’hui. Elle réussit mieux et beaucoup mieux à mon avis dans la comédie sentimentale et dans la comédie comique, et Lady Tartufe, la Joie fait peur et le Chapeau d’un horloger sont des choses ou très touchantes ou très divertissantes et extrêmement adroites. Mais enfin, c’était surtout une femme qui causait le plus spirituellement du monde et elle était faite, exactement comme Mme de Sévigné, pour écrire des lettres. La partie qui est d’elle dans la Croix de Berny, roman par lettres écrit en collaboration avec Méry, Théophile Gautier et Jules Sandeau, est tout à fait excellente.

Or, en 1836, son mari, directeur de la Presse, la pria de causer, ou d’écrire des lettres, dans le feuilleton de son journal. Il avait trouvé la voie qui était bien la sienne et il l’avait comme forcée à écrire selon son génie. Elle s’en aperçut très vite et l’on voit très bien, à la lire, que jamais elle n’écrivit avec plus de plaisir. C’est du vicomte de Launay, pseudonyme qu’elle avait pris, et qui est resté le nom sous lequel on désigne