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la peur. Son père avait été renseigné par la rumeur publique.

— Quel trou ! Et c’est là que tu vas t’enterrer ?

— L’avenir nous dira cela. N’anticipons pas.

— Il est joli, ton grand tour en auto…

— Il colle toujours. Tu penses que je ne tiens pas à faire une cour officielle à Marthe, aux yeux des badauds. Un voyage s’impose plus que jamais. Nous emmenons la petite avec nous, voilà tout…

— Nous emmenons, nous emmenons ! on dirait que tu es le maître. Et Bourin, tu crois qu’il te laissera faire ? Il aurait trop peur que tu ne détériores sa fille avant la lettre.

— Tu es stupide.

— Non, je vois clair… A propos, papa t’attend avec impatience. Tâche de lui dire quelque chose. Il n’est pas content.

— Bon. Rentrons. Du reste, il faut qu’il aille faire dès demain la « demande, » selon les règles en usage dans la contrée… Quelle tête il va faire, à l’annonce de cette corvée !…

— Tu sais, il y a de quoi !

Le jardin de la tante Anna, qui s’étendait en partie derrière les maisons du bourg, était dessiné à la française. Maxime et Rolande s’étaient retrouvés sous un quinconce des tilleuls. La lune se levait et badigeonnait de blanc les murs et le tronc des arbres. Le frère et la sœur marchèrent vers la maison sans parler. Un peu avant d’atteindre le perron, Rolande s’arrêta, et, regardant Maxime, elle haussa à petits coups les épaules, puis :

— Tu me fais rire avec tes Bourin, dit-elle à mi-voix. Sérieusement tu ne vas pas croupir ici ? Et moi, qu’est-ce que je deviens dans toute cette histoire ?

— Toi ? répliqua vivement Maxime, n’as-tu pas le baron ?

Ils se mirent, tout de suite en rentrant, à la recherche de leur père. On leur dit, à la cuisine, qu’il était allé se coucher.

L’ouverture de la chasse se ressentit un peu, à Filaine, de toutes ces secousses. Mais pour Gabriel Baroney, « l’ouverture » était une solennité que, pour rien au monde, il n’eût négligée. Il traîna de force Étienne hors de la maison après avoir rempli ses poches de cartouches et mis en état le fusil de son fils.

— Il n’y a rien de meilleur pour balayer la mauvaise humeur qu’une dizaine de kilomètres de chaumes et de brandes dans les jambes, avec, de temps à autre, un lièvre qui déboule et une