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Casimir l’a rassurée, car il a vu ce matin Stanislas qui venait de chez Rosalie où il avait rencontré Léon, qui lui avait dit qu’Isidore était beaucoup mieux et qu’il viendrait la voir le soir même avec Zéphyrine : « Ah ! les voilà » et l’on voit entrer Isidore avec Zéphyrine. Zéphyrine est une grosse femme de quarante-cinq ans et Isidore est un petit vieux expirant… Et c’est un maniaque qui bat le rappel sur son chapeau, et c’est un autre maniaque qui touche à tout sur la table, qui ouvre toutes les boites, qui dérange tous vos flacons, qui déplace le signet de tous vos livres ; c’est un curieux tatillon qui décroche vos petits tableaux et vous les apporte en vous demandant ce qu’ils représentent : c’est un monsieur qui choisit toujours la chaise la plus difficile à prendre et qui s’obstine à la conquérir, refusant obstinément celle qu’on lui offre et qui est à côté de lui ; c’est un importun maudit qui, de porte en porte, de fenêtre en fenêtre, de salon en salon, suit comme un chien deux pauvres causeurs qui le fuient ; c’est un monsieur qui vous raconte sa maladie comme si vous étiez son médecin ; c’est un tremblant audacieux qui, pour cacher son embarras, fait le tapageur et l’insolent et à qui l’on est tenté de dire ce que Mme de R… disait à un faux brave de ce genre : « Ne vous contraignez pas : osez être timide et vous serez très convenable… » C’est un impertinent qui affecte de ne vous parler jamais que de votre profession. C’est un sot qui, dans un bal, vient vous questionner sur les récens chagrins de votre vie et qui change en un poignant remords ce premier plaisir que vous vous reprochiez déjà ; ou bien c’est ce barbare étourdi qui, en sautillant, vient vous demander des nouvelles des parens que vous pleurez… »

Mme de Girardin a été aussi, dans ses « lettres parisiennes, » à coup sûr le plus indépendant, à coup sûr le moins impartial et souvent le plus sagace comme le plus spirituel des critiques littéraires. En général, elle est romantique. Ses Dieux sont Victor Hugo en toute première ligne, Lamartine, Musset, Eugène Sue, Balzac (que l’on considérait alors, avec beaucoup de raison, selon moi, comme romantique, sans faire attention à son réalisme et sans se douter que toute une école réaliste allait sortir de lui). Elle semble ne jamais s’être avisé qu’Alfred de Vigny existât. Son adoration pour Victor Hugo ne l’empêche pas de garder son admiration pour Racine et d’avoir le courage de la