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femmes de haute situation se soient plus intéressées à la littérature élevée que l’époque 1820-1848. Il manque à Mme de Girardin une certaine envergure de connaissances historiques, ce qui lui permettrait des comparaisons plus justes entre les différens temps.

C’est ainsi qu’elle se trompe, et cette fois radicalement, dans la question de la femme de trente ans, dans la grave question de la femme de trente ans. Pour défendre Balzac, — et du reste elle le défend très bien, et ce n’est pas ici qu’elle se trompe, — elle dit : « Mon Dieu, est-ce la faute de M. de Balzac si l’âge de trente ans est aujourd’hui l’âge de l’amour ? M. de Balzac est bien forcé de prendre la passion où il la trouve et certes on ne la trouve plus dans un cœur de seize ans. Autrefois une jeune fille se faisait enlever à seize ans par un mousquetaire ; elle s’enfuyait du couvent par-dessus le mur à l’aide d’une échelle et les romans de cette époque étaient remplis de couvens, d’échelles, de mousquetaires et d’enlèvemens… Aujourd’hui Julie, ambitieuse et vaine, commence par épouser volontairement à dix-huit ans M. de Volmar, puis à vingt-cinq ans, revenue des illusions de la vanité, elle s’enfuit avec Saint-Preux par amour. » Etc. Je ferai remarquer à Mme de Girardin que c’était exactement la même chose « autrefois, » c’est-à-dire au XVIIIe siècle. Les jeunes filles à seize ans épousaient, et sinon tout à fait volontairement, sinon spontanément, du moins sans aucune résistance, un vieux monsieur que les convenances de famille, les combinaisons financières, désignaient à leur choix, et, dix ou douze ans plus tard, elles prenaient un amant qu’elles gardaient généralement toute leur vie. Que les environs de la trentaine soient l’âge de la passion, ce n’est ni Balzac qui a inventé cela, ni les mœurs de 1840 qui ont imposé cela à Balzac ; c’est la vérité de tous les temps.

— Mais le mérite de Balzac c’est de s’en être aperçu !

— A la bonne heure !

Les Lettres parisiennes, qui commencent en 1836, s’arrêtent en 1848. A partir de 1848, une autre société remplaçait celle que Mme de Girardin aimait à peindre, aimait à railler et tout compte fait, aimait. Elle cessa d’écrire des chroniques. Elle était malade du reste et si, sur sa chaise longue, vêtue de sa fameuse robe de chambre blanche, elle recevait encore, et les plus illustres visiteurs, elle ne sortait pas. Elle ne regardait que de loin un