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donne le courage et le sang-froid nécessaires pour ne reculer devant aucune décision, mais sans l’assombrir, sans lui enlever la faculté de jouir de la vie, et pendant ces dix années, qui marquent une trêve entre les dangers de la triste époque et les préoccupations de l’époque glorieuse, il y eut chez lui comme le besoin de posséder tout ce que la vie peut accorder. Ce furent d’abord les joies du foyer. Il venait de connaître bien des tristesses. La charmante impératrice Haruko, qu’il avait épousée en 1870, ne lui avait pas donné d’enfans. Suivant l’usage de la maison impériale, il avait choisi parmi les dames de sa cour cinq femmes de second rang ; deux fils lui étaient nés ; ils étaient morts ; le père en avait souffert cruellement ; le prince ne cachait pas son inquiétude de ne pouvoir assurer sa succession. Enfin le présent empereur Yoshihito naquit le 31 août 1879 ; les soins de chaque jour dont il fallut entourer sa frêle enfance rendirent plus douce encore la joie de le reconnaître officiellement le 31 août 1887 et de le proclamer prince héritier le 3 novembre 1889. Sa naissance fut suivie de celle de quatre princesses, dont deux sont aujourd’hui mariées.

Mutsuhito résidait à Tokio ; depuis 1889, ce fut dans le palais japonais qu’il s’était fait construire sur l’emplacement de l’ancien château shogunal ; il décida que les appartements publics recevraient la riche décoration qui sied à un souverain, mais il voulut une grande simplicité dans ses appartements privés, le style shinto le plus sévère pour le temple des ancêtres. Vêtu dans l’intimité de soie et de crêpe blancs suivant la coutume, l’empereur portait en public un uniforme sombre de général ; l’impératrice et les dames de la cour s’habillaient à l’européenne pour les cérémonies officielles. Chaque année faisait perdre à l’ancienne étiquette un peu de sa rigueur : même à l’époque où les chefs de la Révolution étaient de véritables dictateurs, personne n’eût osé adresser la parole à l’empereur, mais il s’était plu à créer entre lui et ceux qui l’entouraient des rapports plus faciles ; de même, quoique, par respect pour la tradition, il vécût une vie retirée, il ne craignait pas de se montrer en public ; le but même de sa politique ne fut-il pas de supprimer les barrières que la coutume chinoise met entre le souverain et son peuple ?

Dans les heures de répit que lui laissaient ses devoirs, il recherchait ces plaisirs délicats où s’était formé le goût exquis du vieux Japon ; il admirait les peintures des maîtres