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bons. Devant la demeure du jardinier, — quel poste enviable ! — des bordures de buis d’une authenticité certaine, des buis taillés en murets, en corbeilles, en pétales de lys, des buis dont on aperçoit la membrure tordue et dégarnie à moitié, vestiges encore somptueux, abritent des fleurs dont un curé du village ne voudrait plus, primevères, oreilles d’ours et pensées. Je n’ai pas vu le jardinier. Il n’est pas fonctionnaire. Il dépend de la « Mount-Vernon ladies association, » qui conserve à l’admiration de l’Amérique le domaine du grand homme ; et je le crois assuré de ne point déplaire, s’il remplit bien son rôle de retardeur de la mort et de défenseur des bosquets. Quels beaux momens il doit connaître ! Lorsque la nuit d’été va commencer, — tous les visiteurs partis, et le petit pavillon d’accostage n’étant visé par aucune proue, — quelle splendeur pour lui ! La ville, au loin, mijote dans la chaleur humide de l’été. Les habitans riches ont tous quitté la capitale politique ; les mouches à feu traversent les avenues. Le jardinier de Mount-Vernon, debout au-dessus d’une contrée assoupie, regarde d’en haut les bateaux qui passent, et le premier souffle de vent est pour lui, que la brise se lève du fleuve, ou de l’océan invisible, ou des forêts qui l’ont gardée fraîche, tout le jour, parmi les mousses, et capable seulement d’un vol court.

Washington, après une soirée. — Parmi les gloires américaines, il faut célébrer l’œillet rose et la rose qui a nom, équitablement, « american beauty. » Ce sont des fleurs de grande santé, d’une richesse de ton qui ne heurte pas et ne fatigue pas ; elles ont le parfum non pas subtil, mais d’une fraîcheur vive et durable ; elles coûtent cher ; elles meurent à profusion sur les tables et dans les salons ; on m’a dit qu’elles vivaient en serre, — du moins les premières de la saison, — et si j’en préfère d’autres, je ne veux pas le savoir, mais elles ont le droit d’être aimées.

A la fin d’un de ces diners d’apparat qui ont groupé, chaque soir, les membres de la Délégation Champlain, j’ai posé cette question à mes voisins américains : « Ne pensez-vous pas que l’Amérique, qui a eu un bel éveil littéraire, avec Longfellow, Edgar Poë, Thoreau, Hawthorn, aura un jour sa grande période de littérature et d’art ? » Un citoyen considérable des États-Unis a répondu fermement :

— Non.