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branche d’arbre, dit à ses hommes, qui achevaient de garnir de pieux les retranchemens : « Enfans, la journée sera chaude. » Nous nous rappelons que, le soir, à cette même place, à la lueur longue du jour allongée par le reflet du lac, il écrivait : « Quelle journée pour la France ! La trop petite armée du Roi vient de battre ses ennemis… Ah ! quelles troupes que les nôtres ! Je n’en ai jamais vu de pareilles. »

En combien de lieux de la terre, chez les autres, notre mémoire ne pourrait-elle pas nous parler ainsi, tout bas, de la gloire de nos armes ? Mais ce qui est délicieux, c’est que la famille étrangère qui nous reçoit se souvient aussi, et qu’elle comprend, et qu’elle sait encore autre chose que de l’histoire. Tandis qu’on nous sert un premier déjeuner d’une ordonnance jolie et méditée, — il y avait jusqu’à des fruits de Californie ou de Floride jetés dans du vin aromatisé, — nos hôtes et les parens de nos hôtes nous parlent de cette France qu’ils connaissent, et qu’ils aiment, de Jacques Cartier, de Roberval, de Champlain « père des sauvages, » des missionnaires, de Frontenac, de Vaudreuil, de Montcalm. Ces noms revivent, et ceux des adversaires. Nous apprenons que M. Pell a voulu acheter tout le territoire où se battirent, autour de Carillon, les Français et les Anglais, afin qu’on ne puisse y bâtir d’hôtel, et diminuer le caractère sacré de ce paysage. N’est-ce pas un joli trait, et appartient-il, par hasard, à cette « civilisation matérielle » dont on fait aux Américains, tantôt un reproche, tantôt un si lourd compliment ? Nous sortons de la villa ; nous traversons la prairie, et, le terrain se relevant un peu, nous sommes devant un fortin carré, en pierre, protégé par des fossés. Les propriétaires l’ont restauré, mais la plus grande partie de ces moellons sont véritablement des pierres de guerre, et les poutrelles noires des chambres ont bruni à la fumée des pipes que fumaient, dans l’hiver dur de ces climats, les enfans perdus et presque abandonnés des régimens de France. On pense à ces reproches qu’ils devaient faire, aux nouvelles apportées par les sauvages, au vent qui soufflait, à la tempête de neige, et au « quand même » qu’ils disaient tous, après avoir grogné. Le fort est pavoisé en notre honneur. Sur la façade, une plaque de bronze porte cette inscription : Germain redoubt, constructed by captain Germain, régiment des Gardes de la Reine, in 1758, by order of the marquis de Montcalm, in com-