Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est trop grave pour que les remèdes ne soient pas immédiats et suffisamment énergiques.

Nous sommes loin, en effet, des instituteurs que nous avons connus autrefois, braves gens sans prétentions déplacées, tout entiers consacrés à leurs fonctions, à leurs devoirs envers les enfans, leur enseignant à lire, à écrire, à compter, à connaître et à aimer leur pays, mais qui étaient loin de se croire les dépositaires de la science intégrale et de se considérer comme les prêtres d’une religion nouvelle, avec toutes les ambitions que comporte cette conception de soi-même et du rôle qu’on est appelé à remplir dans la société. Les instituteurs de nos communes ne cherchaient alors à s’imposer à personne et ils avaient les sympathies de tous. Dira-t-on qu’ils languissaient dans la misère et que personne ne songeait à les en tirer ? Rien ne serait plus faux. La République n’a pas attendu qu’ils se fussent syndiqués pour améliorer leur sort ; très spontanément et généreusement, elle a fait beaucoup pour eux et elle n’a jamais renoncé à faire davantage. Les instituteurs le savent bien et ils se tiendraient plus tranquilles, confians dans la bonne volonté des pouvoirs publics à leur égard, s’ils bornaient leurs désirs à l’amélioration graduelle de leur état professionnel ; mais il s’en faut de beaucoup qu’ils s’en tiennent là ; en réalité, ils veulent être leurs maîtres et ne reconnaissent plus aucune autorité au-dessus d’eux. C’est surtout pour ce motif, qu’on ne s’y trompe pas, qu’au Congrès de Chambéry, leurs syndicats se sont affiliés à la Confédération générale du Travail.

La célèbre Confédération a, en effet, un idéal dont elle poursuit la réalisation par tous les moyens que l’on sait, et qui n’est autre que de devenir la maîtresse unique, absolue, dictatoriale de la production industrielle, d’en modifier à son gré les conditions et de la dominer à la manière d’un gouvernement de droit divin. Ces conceptions nouvelles hantent les imaginations dans le monde du travail et elles sont passées de là dans un monde qui en était jusqu’ici très distinct, celui de l’administration. Les fonctionnaires de tous ordres y ont vu un exemple à suivre, et beaucoup l’ont suivi. La loi de 1884, sur les syndicats professionnels, a servi d’instrument à tous ces projets ; il a fallu pour cela la forcer, la dénaturer, la falsifier, mais on ne s’est pas gêné pour le faire et nous avons vu peu à peu, non seulement les ouvriers, mais une notable partie des fonctionnaires, constituer des syndicats, puis des fédérations de ces syndicats, et s’affilier finalement à la Confédération générale du Travail. Les instituteurs, s’ils avaient été vraiment plus éclairés que les