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comprennent la partie la plus modérée et de beaucoup la plus nombreuse des instituteurs ; les syndicats en représentent la partie la plus ardente et la plus aventureuse. Nous devions donc nous attendre à ce que la Fédération des amicales, prenant la parole au milieu d’une situation troublée et troublante comme celle d’aujourd’hui, fit entendre une parole de bon sens et de sagesse que nous aurions été heureux d’enregistrer. Hélas ! quelle déception ! Si la Fédération des amicales a cru rassurer l’opinion, elle s’est bien trompée ! Mais ici quelques textes sont indispensables.

Combien nous aurions été soulagés si la Fédération avait débuté par une affirmation catégorique de patriotisme ! Mais non. « Les instituteurs groupés dans leurs associations corporatives ne sont pas, s’est-elle contentée de dire, antipatriotes ; ils considèrent comme une injure grave l’accusation qui les représenterait comme capables de faire profession de sentimens qui détourneraient de l’école tous ceux qui ont le souci de la moralité de l’enfance, de la dignité et de la sécurité du pays. » Que tout cela est alambiqué ! Mais si les sentimens que les instituteurs inculquent aux enfans ne sont pas ceux qui viennent d’être définis en termes d’ailleurs si vagues, quels sont-ils ? Quels sont ceux dont ils sont eux-mêmes animés ? « Tout en confirmant, continue le manifeste, leurs tendances pacifistes et leur confiance dans la réalisation de l’arbitrage international, ils affirment enseigner un patriotisme réglé par le sentiment de la justice et le respect du droit d’autrui, celui des grands ancêtres de la Révolution française défendant, contre les étrangers et les émigrés de Coblentz, l’idéal républicain et le patrimoine des libertés si chèrement conquises. » Il faut remarquer ici le soin avec lequel les instituteurs des amicales se déclarent non pas pacifiques, mais pacifistes, ce qui n’est pas la même chose : ils enseignent aux enfans que le patriotisme spécifique est un sentiment provisoire qui évoluera jusqu’à prendre un autre nom lorsque l’arbitrage international aura rendu les armées permanentes inutiles : tout cela est compris dans la formule, obscurément nous le voulons bien, mais intelligiblement pour ceux qui savent lire. Poursuivons. « Volontairement, ils (les instituteurs) dénoncent comme dangereux pour la sécurité nationale le chauvinisme étroit, jaloux, agressif, et ils repoussent, le nationalisme intéressé des brasseurs d’affaires, comme ils distinguent le militarisme outrancier du rôle défensif de l’armée républicaine. » Nous le demandons à tout lecteur de bonne foi : est-ce ainsi qu’il faut parler à des enfans ? Sont-ils capables de suivre la pensée de l’instituteur dans cette casuistique flottante et fuyante où se perdent