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Déjà ! Les visages étaient de ceux que j’ai toujours connus. Les yeux brillaient d’une amitié sans étonnement, qui est celle de la race. Quand j’ai demandé :

— Où sommes-nous ?

— Saint-Jean ! Et vive la France ! m’ont-ils répondu.

… Le train s’est remis en marche. Les lumières de la gare de Saint-Jean sont menues comme un grain de poudre qui flamberait dans la nuit. Nous serons bientôt à Montréal.


Dimanche 5 mai. Montréal. — Hier soir, les Montréaliens nous ont reçus d’une façon magnifique, dans la grande salle de l’hôtel Windsor. Et, quand mon tour a été venu, à la fin du diner, de saluer le Canada, je n’ai eu qu’à raconter mon émotion de l’après-midi et de la nuit d’avant-hier, de ce que je puis appeler « la nuit de Saint-Jean : »

« La courtoisie traditionnelle et si haute de l’Angleterre ne sera pas surprise si, venant pour la première fois dans ce pays, et y rencontrant de lointains et chers parens, c’est à eux que j’adresse mon salut.

« Canadiens-Français, j’ai deviné à plus d’un signe, et longtemps d’avance, hier, que nous approchions de votre pays.

« Dès le Sud du lac Champlain, j’ai commencé d’observer que les labours étaient bien soignés. Les mottes s’alignaient droit, sans faire un coude, tout le long des guérets. A peine la neige avait fondu, que déjà de grands amis de la terre, de fins laboureurs ouvraient les sillons pour la semence. Et j’ai pensé : C’est comme chez nous ; quand les hargnes de mars sont passées, la charrue mord les jachères.

« Un peu plus loin, j’ai vu des haies, des palissades plus multipliées qu’en pays de New- York. L’espace était immense, mais il était clos. Et j’ai pensé : Ce sont bien sur nos gens, qui aiment à être chez eux !

« En même temps, le caractère des paysages, par la culture qui fait une physionomie plus souple et plus vivante au sol, le caractère des paysages changeait. Quelques-uns de nous disaient : « N’est-ce pas notre plaine ? N’est-ce pas nos montagnes ? N’est-ce pas la claire lumière ? »

« Dans un chemin, j’ai vu beaucoup d’enfans. Ils ont levé les yeux, et ils riaient à la vie nouvelle. Et j’ai dit : Nombreux, mutins, bien allans, ce sont leurs fils !