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dentelures légères, dont la dernière, et d’un si grand dessin, celle du cap Tourmente, se perd, à d’infinies distances, du côté où est la mer. Longtemps je les ai regardées, et j’ai regardé l’Ile d’Orléans, et la pointe de Lévis. Et je devine que la beauté du paysage de Québec est d’abord d’ordre architectural, conforme à un instinct mystérieux de l’esprit, et qu’elle procède de cette ordonnance où se mêlent les lignes droites des caps et les lignes courbes des Laurentides.

Rien, en France, n’est plus français que ce Québec du Canada. Les gens et les maisons sont de chez nous. On ne voit pas de gratte-ciel. Les gamins, rencontrés dans la rue, flânent, jouent, rient, se disputent, s’envolent comme les nôtres. Lorsque, le soir, je rentre chez sir Adolphe Routhier, et que nous causons de toutes choses françaises, librement, il me semble que je suis en déplacement, aux environs de Paris, chez un confrère de l’Institut, qui a une belle maison et une famille fine.


Les campagnes. Saint-Joachim. — Je vais voir, sur la rive gauche du Saint-Laurent, des terres qui appartiennent, ou ont appartenu au séminaire de Québec, en vertu du testament de Mgr de Montmorency-Laval (1680). Mon compagnon de route, le savant abbé Gosselin, me cite, de mémoire, les dates où quelques-unes des familles de Saint-Joachim s’établirent au bord du fleuve et défrichèrent le sol que les descendans n’ont pas quitté. « Il y a là, me dit-il, un Joseph Bolduc, dont la noblesse remonte à sept générations, jusqu’à Louis Bolduc, procureur du Roi, de Saint-Benoit, évêché de Paris, et qui vint ici, dans le comté de Montmorency, en 1697. Il y a un Féruce Gagnon qui descend d’un Pierre Gagnon, de Tourouvre en Perche, venu à Saint-Joachim en 1674. Les Fillion descendent d’un Michel Fillion, notaire royal, de Saint-Germain-l’Auxerrois, mais ils ne sont « habitans » que depuis 1706. Les Fortin ont commencé d’ensemencer la Grande Ferme en 1760, et les Guilbault de cultiver La Fripone en 1757. Vous verrez combien sont prospères les familles, celles-là ou d’autres, que nous visiterons. »

Le train s’arrête à la station de Saint-Joachim. Nous montons dans une petite voiture à quatre roues, et traversons le village, puis un grand bout de plaine, où chaque champ est soigneusement clos, où, çà et là, bordant les chemins, se lève une double ligne d’ormeaux. Les terres plates où nous voyageons,