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tirer les effets utiles qu’elle pourrait encore contenir. C’est à quoi s’est appliquée la diplomatie européenne et, quelque vaine qu’elle ait été, l’entreprise n’en est pas moins honorable. Mais la force des choses l’a emporté sur les meilleures intentions, à moins qu’il ne faille dire que la volonté des petites puissances balkaniques a été plus nette, plus ferme, plus unie que celle des grandes puissances européennes : en tout cas, elle a été plus rapide dans l’exécution des projets qu’elle avait préparés. L’Europe en était encore à la période des conseils lorsque les quatre mobilisations ont eu lieu.

Quel a été le prétexte ? La Bulgarie venait de terminer ses manœuvres, lorsque la Porte a entamé les siennes dans la région d’Andrinople. Aussitôt on a crié à Sofia qu’il y avait là une provocation intolérable, comme si la Porte était le seul pays des Balkans, ou plutôt du monde, qui n’aurait pas le droit d’exercer son armée. Elle a renoncé à le faire et cette concession n’a servi à rien. En quelques heures la Bulgarie a été debout, animée d’un enthousiasme patriotique dont les journaux ont reproduit les manifestations. A la prétendue mobilisation ottomane a succédé la mobilisation bulgare, et la mobilisation bulgare a été aussitôt suivie des mobilisations serbe, grecque et monténégrine. Le bruit des armes a retenti en même temps dans toute la péninsule : on n’y a plus vu que des soldats rejoignant leurs corps et des concentrations de troupes sur certains points déterminés. Ceux qui, au premier moment, se berçaient de l’illusion qu’il s’agissait là d’un simple bluff n’ont pas tardé à comprendre que le mouvement avait un tout autre caractère ; il venait de trop loin pour s’arrêter si vite ; longtemps contenu, aujourd’hui déchaîné, rien ne pouvait plus l’arrêter. Nous parlons surtout de la Bulgarie parce qu’elle tenait la clé de la situation. A Belgrade, à Athènes, on faisait effort pour se mettre à la hauteur des circonstances, mais l’effort était sensible à des yeux exercés. Il y avait des nuances dans l’exaltation à laquelle chacun des alliés s’abandonnait, et il semblait parfois qu’une réflexion surgissant dans le secret des âmes atténuât quelque peu, ici ou là, l’expression de ce sentiment. Quant au Monténégro, courant moins de risque que les autres, il se montrait fort résolu. Le principe du mouvement était donc à Sofia et à Cettigné ; le reste suivait, mais enfin il suivait. On y avait d’autant plus de mérite en Grèce qu’on y avait éprouvé, il n’y a pas encore longtemps, le poids des armes ottomanes, et en Serbie qu’on y jouait plus gros jeu. La Serbie est certainement celui des quatre alliés qui a chance de gagner le moins et qui est exposé à perdre le plus dans la