Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mandes. » Morier ne savait pas que la mobilisation était si défectueuse, le commandement si mal pourvu, les plans et les ordres si contradictoires, les préparatifs si confus, que nous étions au 20 juillet dans l’impossibilité de détacher de la masse désordonnée de l’armée un corps spécial de 30 000 hommes qui eût pris les devans et se fût jeté au delà du Rhin.

Venant ensuite à l’intrigue Hohenzollern, Morier affirme que cette affaire fut conduite par le Roi avec légèreté et insouciance, et par Bismarck avec son audace accoutumée. Or, le roi Guillaume savait fort bien ce dont il s’agissait, puisque, le 15 mars, il avait lui-même présidé le Conseil où fut décidé le choix du prince Léopold dans l’intérêt de l’Allemagne. La présence de Bismarck, de Moltke et de Roon à ce Conseil donnait à l’affaire la gravité qu’elle devait avoir. Seulement, le roi se ménageait une habile retraite au cas où tout eût mal tourné. Prudent et réservé de nature, il attendait le moment favorable et se montrait aussi disposé à s’effacer, si l’adversaire eût été de taille à lui disputer le terrain, qu’à avancer s’il n’y avait eu aucun obstacle redoutable. En ces terribles circonstances, il a secondé l’action du chancelier, mais en prenant toutes les précautions pour sauvegarder sa dignité et les intérêts primordiaux de la Prusse. Dire qu’il fut léger et insouciant, c’est émettre un jugement hasardé, car les faits ont exactement prouvé le contraire.

Les Mémoires affirment que, la guerre une fois déclarée, une grande animosité se manifesta en Allemagne contre l’Angleterre que l’on croyait hostile. Morier avait dit que si l’on avait extrait de la blessure d’un Prussien une balle provenant de Birmingham, il se fût soulevé une tempête de haine qui eût duré plusieurs générations. Aussi, suppliait-il le ministère anglais de cesser toute importation d’armes en France. Le 3 août, il était allé saluer le prince royal à son quartier général à Spire et il n’avait pu s’empêcher d’exprimer son admiration pour ce prince qui, ayant blâmé la guerre, se préparait néanmoins à y prendre part, « ayant maintenant confiance dans la justice de sa cause. »

Le cabinet anglais n’avait pas encore manifesté ses vues et déjà on l’accusait de prendre parti pour la France. Le duc de Cobourg croyait que l’attitude équivoque de l’Angleterre au début des hostilités était due aux sympathies de lord Granville pour l’Empereur et l’Impératrice, quoique Gladstone et les autres membres du Cabinet britannique fussent mieux dis-