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rais pas pour les débuts de l’Empire allemand au XIXe siècle. Ceci est le côté sentimental de la question. Voici le côté pratique. Une telle occupation hostile demanderait un état de paix armée et rendrait tout désarmement impossible. J’aurais voulu voir l’armée des citoyens allemands, remettant au fourreau son épée sanglante, proclamer le vieux roi Empereur sur le champ de bataille et montrer au monde qu’elle avait combattu pour l’unité de l’Allemagne et pour vivre en paix avec ses voisins. »

Voilà bien plutôt le côté sentimental !… Depuis des siècles on avait mis dans la tête de tous les Allemands que Strasbourg et Metz devaient leur revenir comme des propriétés dérobées, et le professeur d’histoire et le maître d’école avaient pénétré les générations de cette nécessité inéluctable. L’orgueil allemand exigeait l’Alsace et la Lorraine… Il les a eues et il commence seulement à comprendre que ce n’était pas tout de conquérir et qu’il fallait encore assimiler. Or cette assimilation, cette germanisation tant prédites et tant désirées ne se font pas, comme l’a reconnu tout récemment le chancelier Bethmann-Hollweg lui-même, et les prévisions de Morier sur une paix armée, aussi coûteuse qu’une guerre, se sont réalisées. Quant à l’attitude effacée de l’Europe au lendemain de la guerre de 1870, on sait ce qu’elle a coûté à cette même Europe.

Se tournant vers son pays qui avait retenu dans une inertie calculée la ligue des Neutres, Morier mandait à Stockmar : « Je n’ai pas besoin d’ajouter combien je suis honteux de l’attitude du lion britannique. Pauvre bête ! Au début, ses instincts furent justes. Mais aujourd’hui, s’il sent qu’il devrait combattre pour la Belgique, il ne sait pas contre qui. Quant à son gardien, on ne vit jamais une telle maladresse, une telle incapacité, une imbécillité aussi absolue ! » Voilà qui n’est guère conforme à la réserve diplomatique ; mais, une fois lancé sur cette pente, Morier ne s’arrête pas : « Les gens s’attendaient, dit-il, à trouver plus de moralité sur la rive gauche que sur la rive droite du Rhin. » Il fait allusion ici à la révélation subite du piège tendu par Bismarck à Benedetti au sujet de la réunion de la Belgique à la France : « Le chancelier aurait dû attendre pour faire ses révélations, d’avoir battu définitivement les Français ; car c’est une rude épreuve pour la confiance publique de savoir qu’un homme d’État allemand a pu être parmi les conspirateurs. » Cependant, on peut croire que lord Granville n’a pas dû être