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D’abord, la douleur patriotique. Elle se cache le plus possible, se tait, mais le ronge sans cesse. Parfois, un mot la trahit. Un jour, c’est à propos du costume. Il se plaint de le voir toujours imposé aux Italiens par les étrangers, tantôt par les uns, tantôt par les autres. L’invasion de son pays par les modes des « grandes puissances » lui paraît le signe d’une autre invasion, augurio di servitù : « Il n’est pas de nation qui n’ait fait de nous sa proie et, si peu qu’il leur reste encore à prendre, elles ne cessent pas de rapiner. Mais je ne veux pas parler de sujets pénibles… » dit Federico Fregoso, dans le Cortegiano. C’est tout… Une autre fois, c’est à propos de la prédominance donnée par les Italiens aux Lettres sur les Armes : « Avec tout leur savoir littéraire, les Italiens ont montré peu de valeur dans les armes depuis quelque temps ; mais il serait plus honteux encore pour nous de publier le fait, que pour les Français de ne pas savoir les Lettres… Le mieux est de passer sous silence ce qu’on ne saurait rappeler sans douleur… » Et il passe à un autre sujet. L’auteur du Cortegiano est, dans toute la force du terme, ce que M. Paul Bourget appelle « le moment intellectuel d’une race de guerre ; » mais le « moment » n’oublie pas la « race. » Lorsque l’humaniste, se promenant dans Rome, écrit ces vers qu’a traduits notre Du Bellay :


Sacrez costaux, et vous sainct’es ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,

Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple et publiques rapines !

Tristes désirs, vivez donques contens :
Car si le Temps finist chose si dure,
Il finira la peine que j’endure

[1].


C’est le soldat et le patriote, au fond, qui se plaint. Et la

  1. Joachim du Bellay, les Antiquitez de Rome, VII, passim. — Voici le texte de Castiglione :

    Superbi colli, e voi sacre ruine,
    Che’l nome sol di Roma anchor tencte ;
    ……
    In poco cener pur converse sete
    E fatte al vulgo vil favola al fine.
    ……
    Vieró dunque fra miei martir contento,
    Che se’l Tempo da fine a ció ch’ è in terra
    Dará forsi anchor fine al mio tormento.