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longtemps. Puis, quoi qu’on dise cependant à la fin, dans cette fréquentation, j’ai trouvé, et, chaque fois que j’y reviens, je retrouve tant de bon sens, tant de génie, tant d’autorité, tant de probité intérieure, que j’ai fini par me laisser faire, et je crois que quiconque de vous renouvellerait la même expérience, aboutirait au même résultat.


Il y aurait assurément quelque impertinence à vouloir affaiblir la portée de ce témoignage.


III

Comment se fait-il donc qu’une piété si fervente et si diligente, que tant de lectures, d’études et de travaux d’approche n’aient pas abouti à un vrai livre, à un beau livre sur Bossuet ? Ce livre, que nous n’avons pas encore, qui, mieux que Brunetière, aurait pu l’écrire ? Il l’eut écrit, nous n’en pouvons guère douter, avec toute sa pensée, tout son talent et tout son cœur, et je sais bien des gens qui regretteront éternellement qu’il ne nous l’ait point donné. Pourquoi donc ne l’a-t-il pas fait ?… Hélas ! pourquoi un homme, qui semblait né pour écrire Surtout des livres, n’a-t-il guère laissé que des recueils d’articles ou de discours ?… En ce qui concerne l’ouvrage sur Bossuet, peut-être le hasard, qui fait tant de choses dans la vie de chacun de nous, est-il le seul coupables Peut-être aussi Brunetière, qui était toujours prêt à parler ou à écrire sur Bossuet, voyait-il trop nettement les multiples difficultés d’une étude d’ensemble, telle qu’il la concevait, sur l’auteur des Variations, et ne se sentait-il pas, à son gré, encore suffisamment armé pour l’entreprendre. Peut-être enfin craignait-il, — car il avait de ces scrupules, — d’arrêter, et de fixer, et de lier ou d’engager trop prématurément sa pensée par un livre, d’imposer les contours rigides et irrévocables de l’histoire morte à une œuvre qu’il sentait très vivante en lui, et dont l’intime substance était comme mêlée à sa propre vie morale. En toutes choses, cet esprit toujours mobile aimait à « se réserver la possibilité des reprises et des tâtonnemens. » Je l’ai entendu regretter d’avoir écrit autrefois sur les Provinciales des pages qu’il ne pensait plus, et nul doute que, s’il avait prononcé sur Pascal la série de conférences qu’il méditait, il n’eût hardiment revendiqué le droit de se contredire et d’avoir changé d’opinion.

Et cependant, ce livre qu’il semble n’avoir pas voulu écrire,