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je t’aime trop pour avoir voulu partir sans te confier mon secret[1]. » Après lui avoir expliqué qu’orphelin, riche, maître de sa fortune, rien ne le retenait de risquer l’aventure, il lui confiait les moyens préparés : un vaisseau frété en Espagne, un équipage secrètement enrôlé, tout un romanesque programme qui, parmi de nombreuses traverses, allait se réaliser point par point. On sait ce qui en résulta, le succès du jeune officier, l’accueil que lui fit Washington, l’emploi qui lui fut conféré dans l’état-major des rebelles, et l’on imagine aisément la répercussion de ces faits sur la sensibilité française.

Tout était donc bien préparé pour une attitude offensive. Pourtant Louis XVI et le comte de Maurepas se montraient encore hésitans, lorsque, sur l’entrefaite, il parvint à Versailles une nouvelle dont l’effet fut de précipiter les choses. Le 16 octobre 1777, l’armée anglaise commandée par Burgoyne avait capitulé près de Saratoga ; six mille hommes de vieilles troupes anglaises avaient mis bas les armes ; le général et les soldats étaient à la discrétion des vainqueurs. Au bruit de cette victoire, un cri de délivrance s’était élevé dans toutes les provinces en révolte, saluant déjà, comme un fait accompli, l’indépendance des États-Unis d’Amérique. De ce moment, dans le Conseil du Roi, la politique d’atermoiement ne pouvait plus tenir contre le courant unanime. Une plus longue résistance eût déchaîné, selon l’expression d’un gazetier, « une redoutable fermentation dans toutes les têtes françaises. » Maurepas, Louis XVI, Necker lui-même, cédèrent à la nécessité, se résignèrent à « tenter le saut décisif. » Des pourparlers, qui restèrent d’abord clandestins, s’engagèrent sur-le-champ avec les États victorieux, et, le 6 février suivant, un « traité de commerce, d’amitié et d’alliance » scellait l’accord conclu avec le Nouveau-Monde, reconnaissait officiellement l’existence d’une nation nouvelle. Le préambule prévoyait l’hypothèse d’une conflagration entre la France et l’Angleterre ; un article secret mentionnait l’engagement du Roi, si la guerre s’ensuivait, « de ne déposer les armes qu’après avoir fait reconnaître par la Grande-Bretagne l’indépendance et la souveraineté des États-Unis d’Amérique. »

Le corollaire de la signature du traité fut la réception

  1. Souvenirs et anecdotes du comte de Ségur.