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Un peu mièvres sans doute, menues comme sa personne elle-même, humbles comme cette violette qui préférait l’ombre à l’éclat des salons de Versailles, ces lettres, dont j’ai tenu entre les mains le papier festonné de fleurs, mais dont je ne livre pas ici la primeur[1], sont pleines de fraîcheur et de grâce et respirent une honnêteté qui plait doublement, au milieu des corruptions du siècle. Elles donnent une noble idée de la tendre et vertueuse épouse, laissée comme une épave à son foyer, pendant les années de danger et d’éloignement, continuellement dévouée à l’être qui lui tient tant au cœur. On devine combien lui pèsent les absences prolongées du mari en campagne, quand les nouvelles s’en font si longtemps attendre. Si du moins une pensée religieuse accompagnait le prince en Allemagne, lui parlait tendrement tout bas de celle qui prie sans cesse pour lui ; mais elle a des raisons d’en douter, et cette âme en péril la jette dans un perpétuel souci : « Je ne saurais trop demander à Dieu la conversion d’un mari qui me donne bien de la bile pour son indévotion. » — « Mon cher enfant, je t’aime de tout mon cœur… Vous savez, cher mari, que c’est pour moi le comble de la joie d’être avec vous… »

Si ces mots si touchans sont bien parvenus en Allemagne, l’âme et le cœur du prince n’en ont-ils pas été pénétrés ? N’a-t-il pas respiré comme un doux parfum, a la veille de ses combats, cette jeunesse amoureuse, si expansive et si fraîche, qui lui vient du pays natal, ainsi qu’une brise légère ?…

Nous n’avons pas les réponses de Condé. On aimerait à lire la contre-partie, à comparer les deux styles amoureux ou légèrement contrarians. Sans doute, au milieu du bruit des camps, le prince avait peu de temps pour écrire ; l’esprit trop absorbé ou trop répandu pour revoir à chaque heure la gardienne de ses enfans et leurs berceaux. Certes, il aimait sa femme, mais plus encore peut-être cette fumée du moment qui lui en cachait l’image.

A Versailles, il s’était senti influent dans les Conseils du Roi. A l’année, se voyant déjà considéré et écouté, il brûlait d’ajouter « un brin de laurier » aux trophées des ancêtres.

La princesse, ou confiante ou soumise, avait triomphé aisément de quelques rivalités qu’elle avait rencontrées dès ses

  1. Archives nationales R. 569. Originaux autographes. Elles ont été en partie publiées par M. le comte Fleury.