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s’est établie, selon son expression, « une coopération effective, » qu’il s’est noué « un traité d’alliance, » dont il nous est aisé de discerner les principaux articles.

Necker, déclarons-le, n’abandonne pas « ses vues économiques, » ne renonce pas à la défense des deniers du Trésor. Les récompenses qu’il autorise, qu’il sollicite même, assure-t-on, au profit de la favorite, et qui bientôt seront chose accomplie, ne sont qu’honorifiques, mais ce sont les plus éclatantes et les plus enviées à la Cour : c’est, pour le comte de Polignac, un titre héréditaire de duc, un « tabouret » pour son épouse. Faut-il, à ces hautes distinctions, ajouter la promesse d’une terre « pour asseoir » le duché ? Mercy-Argenteau le soupçonne, mais il ne cite aucune preuve à l’appui. Mme de Polignac s’engagera, en retour, à décider la Reine au renvoi de Sartine, à lui faire agréer le successeur désigné par Necker. La « société » entière unira ses efforts à ceux de la nouvelle duchesse. On agira promptement, avec ensemble ; on gardera surtout un inviolable secret, ce qui, assure Mercy, fut observé de point en point.

L’accord s’étendait, comme on voit, au choix du remplaçant de M. de Sartine. Certains indices donnent à penser que Necker songea un instant à réunir dans les mêmes mains les portefeuilles des Finances et de la Marine, a se charger, a lui tout seul, de ces deux grands services. Une partie du public lui prêta, ce dessein[1]. Quoi qu’il en soit, s’il eut cette intention, il y renonça vite. Il fut convenu qu’on soumettrait au Roi le nom du marquis de Castries, lieutenant général des armées, gouverneur militaire de la Flandre et du Hainaut. L’idée était heureuse. Castries, bon officier, dans la force de l’âge[2], avait pour qualités maîtresses une sévère probité, une fermeté de caractère qu’il poussait jusqu’à la rigueur et une rare puissance de travail. Tout cela pouvait suppléer au manque de connaissances spéciales en matière maritime. Lié de longue date avec Necker et son ardent admirateur, il était également un fidèle ami de Choiseul, ce qui devrait lui concilier les sympathies de Marie-Antoinette. On disait même que cette dernière avait jadis pensé à lui pour le ministère de la Guerre. Cette bienveillance, en revanche, n’était guère partagée par M. de Maurepas. En causant un jour avec lui, Necker, pour tâter le terrain, ayant mis en

  1. Journal de Veri.
  2. Né en 1727, il avait alors cinquante-trois ans.