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scrupule conjugal. Adiré vrai, l’insouciance de Marie-Antoinette, son « manque de nerf, » comme dit Besenval, furent sur le point de donner raison au Mentor. Informé par le Roi lui-même de la promesse faite à Maurepas, elle se borna à de faibles réserves et n’osa pas opposer son veto. L’après-dinée du 24 décembre, comme la Cour, selon l’habitude à la veille de Noël, était « aux porcelaines, » qu’on exposait tous les ans, a cette date, dans les appartenions du Roi, la Reine, « tirant à part » Mme de Polignac, lui « souffla dans l’oreille » que la partie était perdue, que le portefeuille de la Guerre serait pour Puységur. Sans s’émouvoir, en apparence, de cette révélation, sentant d’ailleurs peser sur elle les regards curieux de la foule, la duchesse ne répliqua rien, mais elle rentra promptement chez elle, où elle trouva Vaudreuil et d’Adhémar. On se concerta à la hâte sur la situation ; il fut convenu que la duchesse enverrait sur l’heure un billet à Marie-Antoinette, où elle lui manderait simplement « qu’il était de la dernière conséquence qu’elle eut un entretien avec elle et qu’elle la suppliait de venir, dès qu’elle le pourrait. »

Onze heures du soir sonnaient, quand entra Marie-Antoinette. ’ L’entretien fut sérieux, et il fut décisif. Mme de Polignac « remontra avec force » la gravité des circonstances, le retentissement d’un échec. Elle décrivit la Cour entière, les ambassadeurs étrangers, le public parisien, suivant avec un ardent intérêt le combat engagé entre la reine de France et le ménage Maurepas, chacun se demandant quelle en serait l’issue. Elle piqua l’orgueil de la femme, en parlant du « soufflet affreux » qu’elle recevrait à tous les yeux, si elle était vaincue, de la joie insolente qu’en aurait le parti vainqueur. Bref, elle prêcha si habilement, elle déploya tant d’éloquence, que Marie-Antoinette sortit entièrement convaincue, échauffée pour la lutte, résolue aux « derniers efforts » pour s’assurer le gain de cette partie[1].

Dès sept heures du matin, elle était chez le Roi[2]et envoyait chercher Maurepas, qui accourait tout effaré. A peine mettait-il le pied dans la chambre, que la Reine prenait la parole, et, (initiant « le ton despotique » qu’elle employait trop souvent avec

  1. Mémoires de Besenval. — Journal de Véri.
  2. Pour la scène qui suit, j’ai combiné les détails donnés par l’abbé de Véri, interprète de Maurepas, avec ceux fournis par Besenval, écho de la société de la Reine. La concordance des deux versions garantit l’authenticité des paroles rapportées ci-après.