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joignent bientôt une fusillade désordonnée dans un tumulte de cris sauvages. Derrière le rempart rien ne se montre, rien ne s’entend jusqu’à ce que l’escadrille étant bien en face et abonne portée, des feux de salve déchirent d’un bruit intermittent et bref le silence de la rive.

Tous les coups portent, soit dans la cible vivante que forme la foule mahdiste, soit dans les coques. La guerre est trop familière à nos tirailleurs pour qu’ils s’émeuvent de leur œuvre dans cette chair humaine ; mais pour eux une chose est nouvelle, les surprend et les réjouit, c’est le son des balles qui par salves trouent les tôles des bordages, avec un bruit de marteaux frappant tous ensemble. Et à chaque plainte des coques, sous les rafales de chocs multiples et confondus en une seule et étrange sonorité, répond aussi en rafales le rire des tireurs invisibles derrière le retranchement. Nouvelle aussi est pour l’ennemi l’efficacité des projectiles qui si vite prennent tant de sang aux soldats et ouvrent à l’eau les navires. Elle déconcerte la bravoure des Derviches et, pour se mettre hors déportée, ils continuent à remonter le fleuve. Ont-ils compris le vice d’une tactique où la supériorité du nombre leur est inutile et qui les expose inertes et à découvert ? Après s’être abrités, ne vont-ils pas se ressaisir et reprendre par terre l’attaque, se rendant ainsi toutes leurs chances ? C’est ce que redoute Marchand. Il veut qu’ils ne débarquent pas. Pour cela, dès qu’ils s’éloignent, il les fait suivre par une partie de ses hommes qui, invisibles dans les herbes de la berge, continuent à atteindre les équipages et les navires. Les Derviches croient garnie de troupes la rive qui, durant quatre kilomètres, partout leur a été meurtrière, et se décident à la retraite. En se rapprochant de Fachoda, ils recommencent le tir ; nos fusils de nouveau rassemblés ripostent efficacement. De nouveau la flottille dépasse la ville en suivant le cours du fleuve. C’est la fuite. Pour l’activer, Mangin l’escorte encore assez loin. Enfin ils s’éloignent à toute vapeur. L’affaire avait duré près de dix heures, nous avions tiré douze mille balles. Chacun avait pris le fusil, même le docteur, qui écrivit le soir : « Voilà une journée bien employée. » Il l’avait employée à mettre à mal plus d’hommes qu’il n’en pansa.

Les bonheurs maintenant se pressent. Le 29 août, le Faidherbe mouille devant Fachoda. Germain et Dyé l’ont ramené, non sans peine. Il a mis vingt-deux jours pour traverser les