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quarante kilomètres de marais. Mais, être réunis, fût-ce pour les mauvais jours, est une grande joie. Ces événemens fixent la volonté du chef qui gouverne le pays. Notre petit nombre lui avait inspiré jusque-là une confiance précaire, nous mesurions son amitié à l’abondance ou à la pénurie des vivres que les naturels apportaient à notre marché, et parfois, par peur des Derviches, il nous eut laissés mourir de faim. Notre victoire lui donne le courage d’être à nous. Le 30, il consent au traité qui met son pays sous l’autorité de la France et, le 3 septembre, il le signe.

Reste, pour rendre cette possession durable, à rendre effectif le concours des Abyssins. Dès le matin du 1er septembre, le Faidherbe appareille avec Baratier et Dyé. Il revient après quatorze jours. Il a remonté le Sobat. Le témoignage unanime des populations a fait connaître que les Abyssins ont paru dans la plaine, un mois avant l’arrivée de la Mission à Fachoda. Ce n’était pas une armée, mais une avant-garde ; elle a réclamé le protectorat du pays pour Ménélick, a planté, à l’embouchure du Sobat dans le Nil, deux drapeaux français, et a regagné les monts, « en promettant de revenir avec des bateaux à la fin de la saison des pluies, c’est-à-dire en novembre ou en décembre. » Il s’en est fallu de peu que notre rencontre se fit sur le Nil avec les Abyssins. Mais pour une action immédiate, nous n’avons plus à compter sur eux. On parera au plus pressé avec ce qu’on pourra réunir de Français. Une compagnie de renfort est encore dans l’Oubanghi avec le capitaine Rollet. Le Faidherbe regagnera le Bahr-el-Gazal pour la ramener. En même temps, des communications seront cherchées par le Sobat avec l’Abyssinie et l’on préparera le concours de Ménélick pour décembre, si les circonstances donnent délai jusque-là. C’est le 14 septembre que ces résolutions sont prises, le 10 que le Faidherbe repart.

Le 19, à cinq heures du matin, une lettre adressée « au commandant de l’Expédition Européenne de Fachoda » parvient à Marchand. Les deux noirs qui l’apportent ont le costume des troupes égyptiennes, la lettre est signée « Norbert Kitchener Sirdar. » Il a pris Khartoum le 2 septembre, su par les Mahdistes la présence des Français à Fachoda, et annonce sa visite. C’est la visite du destin. Pour la raconter, l’écrivain change de plume. Au lieu de quelques lignes comme d’ordinaire, il consacre onze pages aux incidens d’une journée qui, selon le