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par nous ; Baratier, puis Germain en remontent les rives, mais ils n’y rencontrent que la solitude. C’est vers Paris que se tourne l’espoir obstiné de ces soldats. Ils ont préparé à leur gouvernement trop de positions fortes pour qu’il ne s’y maintienne pas. A supposer qu’il doive laisser à l’Angleterre la rive du Nil et Fachoda, du moins gardera-t-il la ligne du Bahr-el-Gazal que les Anglais n’ont pas atteinte ; lui fallût-il reculer encore là devant l’ancienne province de l’Egypte, du moins n’y a-t-il au-delà ni raison, ni prétexte pour qu’il abandonne les terres du Soueh et la région haute qui touche l’Oubanghi. Là, ni les Anglais ni les Egyptiens n’ont jamais paru.

Le 9 octobre un télégramme français envoyé de Paris à Khartoum, et apporté de Khartoum à Fachoda par un vapeur de Kitchener, parvient au chef de la Mission. Le gouvernement français nomme Marchand chef de bataillon et l’invite à envoyer au Caire un de ses officiers, qui exposera à notre chargé d’affaires les résultats obtenus à Fachoda et dans le Bahr-el-Gazal. La récompense accordée au chef est une approbation d’ensemble donnée à l’œuvre. Pour le détail, le Cabinet s’enquiert, donc il s’arme : plus il sera informé, plus il aura de raisons pour ne pas fléchir. Mais en même temps, parviennent, par les journaux anglais, des nouvelles de la France. Un service de poste fluviale, déjà organisé jusqu’à Fachoda, va rendre régulière l’arrivée de ces feuilles, et la courtoisie britannique nous les communique, surtout quand leurs constatations doivent décourager les Français. Nos officiers apprennent ainsi que la grande affaire de notre politique est un procès où la réhabilitation d’un officier tourne à la haine de l’armée ; que la France a pris parti, et que les deux factions soudain formées et aussitôt furieuses transforment une cause judiciaire en une discorde civile et générale. Pour ceux qui attendent à Fachoda un regard de leur patrie, c’est le coup imprévu, invraisemblable, désespérant. Ils se sentent bien plus loin qu’ils n’auraient jamais cru, perdus dans leur désert, étrangers à leur temps, importuns à la maladie générale, et ils se demandent quelle attention et quelle énergie le gouvernement, pour défendre le droit de la France, pourra dérober à cette folie qui se frappe elle-même. Et pour la première fois le journal porte : « Quelles abominables journées ! »

La crainte que la France, dans cette crise, perde, sans même en connaître la valeur, un gage décisif pour le gain de sa