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sol de Fachoda, mais le Bahr-el-Gazal, mais tout le territoire jusqu’au bassin du Congo. Trois jours après, le commandant anglais, redevenu aimable depuis qu’à Fachoda il était chez lui, offrit à ceux qui abandonnaient la ville un repas d’adieu. A la fin du repas, il prit un étendard troué de balles et le présenta à Marchand comme un trophée qui nous appartenait. C’était le pavillon des canonnières derviches que nous avions mises en fuite le 21 août. De notre conquête il nous restait, présent de l’Angleterre, un morceau de soie.


IV

La retraite s’effectua sur Djibouti. C’était, à ne calculer que par la distance, la plus proche des terres françaises. Si l’on tenait compte du temps et des fatigues, la voie préférable était par le Caire, et la mission eût été rapatriée six mois plus tôt.

Pourquoi Marchand voulut-il suivre l’autre route ? De Khartoum au Caire, à Alexandrie, ses étapes eussent été triomphales : nulle nation à l’égal de l’Angleterre n’excelle à honorer les adversaires qu’elle a cessé de craindre. Marchand ne renvoya par cette voie que ses malades et ses réserves d’approvisionnemens : remettre aux Anglais le transport de ces dernières, qui étaient considérables, lui sembla la meilleure réponse à l’affirmation anglaise que nos troupes à Fachoda étaient dénuées de tout. Qu’il se hâtât de quitter l’Egypte pour ne pas mettre, vaincu, ses pas dans les pas du vainqueur, eût été d’une sensiblerie bien superficielle pour un homme surtout ému par les réalités profondes. Qu’il imposât par nervosité, après tant d’efforts, à ses compagnons un long détour de plus, eût été une rudesse bien contraire aux habitudes d’un chef scrupuleux à ordonner seulement les épreuves utiles. S’il préféra pour ses soldats comme pour lui les durs chemins, à travers la plaine insalubre du Nil et les escarpemens de l’Ethiopie, c’est parce qu’obstiné dans son dessein malgré le sort, il tentait en Ethiopie une rencontre dernière avec la fortune.

Cette fortune d’un grand projet avait échoué parce que les Abyssins avaient été absens : ne pouvaient-ils pas encore la ramener avec eux sur le Nil ? S’ils gardaient la volonté de s’y établir, ils s’y heurteraient plus que jamais à une Angleterre résolue à dominer seule le fleuve, et plus impérieuse après