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Lutzembourg. Les enfans de M. de La Rochefoucauld, du maréchal de Belle-Isle disputent à qui passera l’un avant l’autre. Tronchin, dit un chroniqueur, a plus de vogue que la Duchapt, une marchande de modes qu’on s’arrache. » Les insuccès des autres médecins ne décourageaient pas cet enthousiasme. « Une jeune fille fort riche, écrivait Voltaire à Mme de Fontaine, a été inoculée ici et est morte. Le lendemain, vingt femmes se sont fait inoculer par Tronchin et se portent bien. » Tronchin est ensuite appelé auprès du duc de Parme, à qui la variole avait enlevé sa femme, fille de Louis XV, et sa fille l’archiduchesse Marie-Elisabeth.

La Faculté se réservait et acceptait des thèses contre (1773) et pour (1755) les inoculateurs. Mais, au nombre des médecins adversaires de la variolisation, il y avait, dit Kelsch, « les noms les plus célèbres de l’époque : Bouvart, Astruc, Baron, de l’Epine… ; » et, en 1763, le Parlement défendit « de pratiquer l’inoculation dans l’enceinte des villes et des faubourgs qui étaient du ressort de la Cour. » A la Cour de France, il fallut la mort de Louis XV (1774) pour que la variolisation fût acceptée. (Docteur Rondelet.)

En fait, ce procédé de préservation de la variole était extrêmement dangereux. Certes, on réduisait ces dangers au minimum en préparant bien les sujets à inoculer, comme faisait Tronchin : pour le fils du duc de Parme, il tint le prince en observation et le soigna pendant une semaine entière avant de faire l’inoculation. D’autre part, on choisissait, pour l’inoculer, le virus d’un cas bénin, pendant une épidémie peu maligne. — Mais on sait très bien que le virus varioleux du cas le plus bénin est le même que celui de la variole hémorragique la plus grave. On pourrait donc donner une variole mortelle, avec un virus inoffensif en apparence, à un sujet bien portant qui n’aurait peut-être jamais eu la variole dans sa vie.

D’autre part, la variolisation constituait un danger public. « Elle a été funeste à la santé, dit Kelsch, en renouvelant incessamment l’agent infectieux et en favorisant sa propagation. Tout inoculé constituait un danger pour son entourage ; beaucoup devenaient des centres actifs de rayonnement de la maladie. Les sources du virus variolique se trouvaient ainsi multipliées à l’infini et demeuraient ouvertes en permanence. Aux épidémies, qui continuaient à revenir périodiquement comme dans le passé, par le jeu des influences générales,