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dégager la somme de comique qu’il contient, à la façon impersonnelle qui est celle de tous les écrivains du XVIIe siècle.

A combien de développemens, prose et vers, n’a pas servi de prétexte


Cette mâle gaîté, si triste et si profonde
Que lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer ?


Derrière cette façade de carnaval, qu’y a-t-il, sinon la misère de notre complexion physique, la maladie et la mort ? C’est la véritable comédie macabre, où, derrière le masque et sous les oripeaux, se devine le hideux squelette… Erreur encore ! On oublie que nos rudes aïeux ignoraient nos sensibleries. Ils n’attachaient pas à l’existence le même prix et le même soin superstitieux dont nous l’empoisonnons. Ils regardaient la mort en face, quoi qu’en ait dit La Rochefoucauld. Ils en plaisantaient, et c’est un thème qui revient à chaque instant, et sous toute sorte de formes, dans leurs comédies. Ils n’étaient pas neurasthéniques.

Argan lui-même ne l’était pas, — en dépit du diagnostic que portent à son sujet certains médecins d’aujourd’hui. S’imaginer qu’on est malade, disent-ils, c’est déjà être malade. Cela s’appelle la neurasthénie, qui est une maladie, puisque nous la soignons et qu’on en meurt. Molière avait ce don de divination qui est le propre du génie. S’il n’eût été l’ennemi de la médecine, il était digne d’être médecin : son Argan est une étude de clinique, remarquable par la précision… Parler ainsi est ne pas comprendre le procédé de l’auteur comique. Les nécessités mêmes du genre imposaient à son malade de n’avoir aucune maladie d’aucune sorte. Pour qu’un malade soit personnage de comédie, il faut que ce soit un malade bien portant.

Bien portant et même robuste, puisqu’il résiste si vaillamment aux remèdes. Qu’est-ce donc qu’Argan ? Un esprit faible. Il est un esprit faible au même degré et de la même manière qu’Orgon, avec lequel il a plus d’un trait de ressemblance : telle scène du Malade imaginaire répète une scène analogue du Tartuffe. L’un et l’autre, ils sont pareillement en tutelle. Égoïstes, l’un et l’autre, quand il s’agit de choisir un gendre, ne consultent que leur intérêt, et souhaitent, celui-ci un saint homme qui fera pleuvoir sur lui les bénédictions célestes, celui-là un médecin qui le régalera de consultations et d’ordonnances. Cet égoïsme est le principe de la perpétuelle inquiétude où est Argan sur sa précieuse santé. Il se combine avec sa naturelle pusillanimité pour faire naitre en lui cette « maladie des médecins » qui est une foi