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d’admiration du « génie » de Necker, envient au roi de France un si « merveilleux serviteur. »


II

Et cependant, malgré cette quasi unanimité, malgré l’indéniable sincérité de ces jugemens flatteurs, une situation si brillante n’est guère, en réalité, qu’une façade, et ces fleurs couvrent bien des pièges. C’est à cette heure même, en effet, que, parmi le fracas des louanges, il se forme une « cabale » puissante, dont le but direct et précis est le renversement de Necker, une ligue occulte, dont l’action sera bientôt sensible. Le chef en est Maurepas, excité, poussé par sa femme. Le vieil « embaucheur de ministres, » comme l’appelle un contemporain, ne pouvait prendre son parti de ces deux récens portefeuilles arrachés, puis donnés, sans lui. Surtout la chute de Montbarey, coup droit porté à Mme de Maurepas, irritant la bile du ménage, avait délivré le Mentor de ses derniers scrupules. Longtemps, tout en contrecarrant la plupart des vues politiques du directeur général des finances, il avait cru devoir le ménager, par nécessité financière et, pour ainsi dire, malgré lui. Necker parti, se disait-il, où trouverait-on l’argent pour combler les vides du Trésor et continuer la guerre ? Mais cet honorable souci cède désormais devant l’âpre soif de vengeance. Ne pouvant s’en prendre à la Reine, tout son ressentiment se tourne vers Necker. Du jour où fut signée la nomination de Ségur, la chute du directeur fut résolue dans le cœur de Maurepas.

Pour l’aider dans son entreprise, ce dernier rencontrait, dans le sein même du Cabinet, un précieux auxiliaire en la personne de son collègue des Affaires étrangères. Presque du premier jour, Vergennes avait ressenti pour Necker un éloignement instinctif, qui s’était changé graduellement en antipathie violente. « Il était, écrit Soulavie[1], le plus dangereux adversaire de M. Necker, parce qu’il était le plus réservé et qu’il était dans le Conseil le plus zélé partisan du despotisme. » Tous les faits confirment ce dire. Honnête et de sens droit, timoré par nature, absolu par principe, respectueux à l’excès des traditions anciennes, ennemi né des innovations, avant tout

  1. Mémoires sur le règne de Louis XVI.