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avec force « le désir continuel, commun à tous les parlemens, de se mêler de l’administration. » — « Ils s’y prennent, ajoutait-il, comme tous les corps qui veulent acquérir du pouvoir, en parlant au nom du peuple et en se disant les défenseurs des droits de la nation, et l’on ne doit pas douter que, bien qu’ils ne soient forts, ni par l’instruction, ni par l’amour pur du bien de l’Etat, ils se mettront en avant dans toutes les occasions, aussi longtemps qu’ils se croiront appuyés de l’opinion publique. Il faut donc, ou leur ôter cet appui, ou se préparer à des combats répétés, qui troubleront la tranquillité du règne de Votre Majesté et conduiront successivement ou à la dégradation de l’autorité, ou à des partis extrêmes dont on ne peut pas mesurer au juste les conséquences. L’unique moyen de prévenir ces secousses et d’attacher essentiellement les parlemens aux fonctions honorables et tranquilles de la magistrature, c’est de soustraire à leurs regards constans les grands objets de l’administration. » Huit ans à peine après les batailles de Maupeou et au lendemain des luttes où avait succombé Turgot, ces considérations étaient certes bien propres à faire impression sur Louis XVI. Aussi contribuèrent-elles, dit-on, dans une large mesure, à entraîner en faveur du projet présenté par Necker l’adhésion du jeune prince, qui, précisément en ce temps, à propos de quelque incartade de la magistrature, murmurait presque malgré lui : « Je vois bien que M. de Maupeou n’avait pas autant de tort qu’on a voulu me le faire entendre[1] ! »

Ces vérités, toutefois, si évidentes et si utiles qu’elles fussent, n’étaient pas bonnes à crier sur les toits, et le directeur général s’en rendait compte mieux que personne. Tout en laissant courir sa plume, avec l’idée très arrêtée qu’il n’écrivait que pour le Roi, il avait pris ses précautions pour éviter les indiscrétions périlleuses. Le mémoire, en effet, était demeuré manuscrit et copié à deux exemplaires. L’une des copies avait été remise au Roi, qui, après lecture faite, l’avait « serrée dans sa cassette, » et l’autre était restée dans les mains de l’auteur. Necker se croyait donc à l’abri des divulgations, et il comptait, non sans raison, « sur un secret inviolable. » On se représente sa surprise et son émotion indignée, quand, après quatre ans de silence, il apprit soudainement la publication de son œuvre, la distribution

  1. Journal de Hardy, 9 septembre 1778.