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précisément sous l’invocation du grand nom de Shakspeare que Verlaine a placé son Art poétique.

L’épigraphe apporte sa révélation. Elle est tirée de la pièce Twelfth night ort uhat you will (Le Soir des Rois), dans laquelle ce thème, cher au dramaturge, l’éloge de la musique, prend plus de place et présente plus de profondeur qu’en aucun autre endroit de son théâtre. Je me suis donné le plaisir de relever, dans l’œuvre de Shakspeare, tous les passages où la musique intervient, où elle est exaltée. Bien sûrement, Verlaine les avait notés. Ni la Tempête, ni le Songe d’une Nuit d’Eté, ni le Marchand de Venise, ni Peines d’amour perdues, ni Comme il vous plaira, ni le Conte d’hiver, ni Cymbeline, ni Othello, ni Hamlet, ni les Joyeuses commères de Windsor, ni Troïlus et Cressida ne lui ont dérobé leurs manifestations de cette folie de musique, exprimée presque violemment dans le duo fameux de Lorenzo et Jessica : « L’homme qui n’a pas de musique en lui-même et qui n’est pas touché par l’accord des doux sons est tout prêt pour les trahisons, les stratagèmes, les pillages : les mouvemens de son âme sont tristes comme la nuit, et ses affections sombres comme l’Erèbe. Ne vous fiez pas à cet homme. » C’est cette exaltation aussi vive que tendre, qui remplit plusieurs scènes du Soir des Rois. Le premier mot de la pièce est un appel du Duc aux musiciens. Il leur demande la reprise d’un vieil air qui s’achève en mourant, et il le définit ainsi : « le souffle doux du vent qui a passé sur une rangée de violettes, dérobant et donnant l’odeur. » Au deuxième acte, c’est encore la mélodie de la veille qu’il veut entendre : elle est bien autrement capable de charmer son tourment d’amour que l’expression cherchée de ces fioritures agitées et d’allure étourdie : « Allons, l’ami, » dit-il au fou que l’on est allé lui quérir, « la chanson que nous entendîmes hier… Ecoutez-la bien, Cesario. Elle est ancienne et simple. Les tricoteuses et les filandières de plein air, les belles filles qui tissent leurs brins de fil avec des fuseaux d’os ont coutume de la chanter : elle est innocemment douce, elle se joue avec la candeur de l’amour, comme au bon vieux temps. » C’est ce passage qu’en tête de sa pièce, l’Art poétique, Verlaine a recopié, — ou plutôt cité de mémoire : il parle, en effet, de Shakspeare « lu et relu dans le texte à coups de dictionnaire et enfin, su par cœur, pour ainsi dire. »

Et certes, si Verlaine a dû quelques indications à